Bonjour, c’est Bruno à Edimbourg, où l’on boucle aujourd’hui la semaine de conférence TEDSummit. Je suis le directeur international de TED, où nous nous occupons d’«idées qui méritent d’être partagées», et le président du FIFDH, le festival du film sur les droits humains à Genève.

Dans cette édition spéciale (et un peu longue: j’ai tant à partager!), je vous parle de réseaux anti-sociaux, d’un roman qui met en scène l’Union européenne (et néanmoins passionnant) ainsi que de science-fiction chinoise.

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Bruno Giussani à Édimbourg
25.07.2019

Rappel des infos qui comptent

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Le guide Audun Salte, avec son husky de 12 ans. Photo: Denis Sinyakov for Greenpeace

L’endroit sur terre qui se réchauffe le plus vite. A propos de l’urgence climatique, ce reportage long format à Svalbard est très éclairant. Nulle part ailleurs que dans cet archipel norvégien à mi-chemin entre la Norvège et le pôle Nord, les températures ne grimpent aussi vite (+4 degrés depuis 1971). Il est devenu impossible de traverser le fjord sur la glace, parce qu’il ne gèle plus en hiver. Le pergélisol fond. Le «global seed vault», réserve des variétés de semence du monde entier pour les générations futures, ouvert il y a juste dix ans, doit déjà être renouvelé, suite à la fonte des glaces.

The Guardian (EN)

Qui est à l’écoute? Elle est fascinante, cette jeune fille suédoise atteinte d’Asperger qui, en une année et partant d’une action à l’apparence mineure - refuser d’aller à l’école le vendredi pour protester contre l’inaction -, a contribué à faire basculer la discussion globale sur le climat et à mobiliser une génération. Le discours de Greta Thunberg est clair et urgent - regardez son TEDTalk pour vous en convaincre. Ses détracteurs peinent à trouver la faille pour l’attaquer, sauf à l’accuser (en se ridiculisant) de «terrorisme psychologique». Elle était en France cette semaine, notamment devant l’Assemblée Nationale. «Certains ont décidé de ne pas venir nous écouter aujourd’hui. Ce n’est pas grave, nous ne sommes que des enfants… Mais vous devez écouter le consensus scientifique», a-t-elle dit avec sur la table le rapport du GIEC.

Greta Thunberg: «Rejoignez-nous». Traduit par Flore Vasseur (Ed. Kero) (FR)

Le tourisme Instagram La petite ville de Page, en Arizona, 8000 habitants, est visitée par près de 4 millions de touristes par an - tous là pour photographier les rochers rouges d’Antelope Canyon. Il y a d’autres formations rocheuses aussi magnifiques pas loin, mais tout le monde veut Antelope - et s’y presse à la recherche de la même «photo parfaite”, identique à des millions d’autres, pour nourrir son compte Instagram. En revanche, personne ou presque ne s’intéresse à l’héritage Navajo de la région. Lisez cet article-méditation de Vox sur la mise en scène digitale de nos vies et sur ce que cela signifie pour les lieux et les communautés qui en constituent la toile de fond.

Vox (EN)

Il est temps de raconter le monde

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📵 Razzia sur nos data. Nos données personnelles sont recueillies chaque jour par Facebook ou Google, mais aussi par des entreprises qui sont beaucoup plus proches de nous, comme Coop, Migros, la Poste ou les CFF. Que font ces sociétés de cette montagne d’informations? Où ces données sont-elles stockées? Jusqu’où peut aller cette curiosité pour nos comportements? Heidi.news a mené l’enquête.

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Dans mon radar

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Carole Cadwalladr a révélé le scandale Facebook/Cambridge Analytica (Keystone / AP / Netflix)

La difficulté de se parler. Durant ce TEDSummit en Ecosse, on a abordé des thèmes variés: du climat à la réinvention du capitalisme, de l’intelligence artificielle à l’architecture organique. Les vidéos des interventions seront publiées dans les mois à venir, une par jour, sur TED.com. Mais on y a surtout parlé de… la difficulté de se parler dans le monde contemporain. De la polarisation du discours politique, des effets des réseaux sociaux et de leur modèle d’affaires qui accélère la tribalisation, de la difficulté grandissante de développer un argument nuancé et équilibré sur tout sujet complexe.
Carole Cadwalladr, la journaliste qui a révélé le scandale Facebook/Cambridge Analytica (pour lequel FB vient d’écoper d’une amende de cinq milliards de dollars) a déroulé les derniers développements (et retombées) de son enquête. Elle a aussi présenté en avant-première le documentaire qui retrace l’affaire, disponible sur Netflix.

TEDTalk (15min, sous-titré FR) (EN)

Les guerriers du clavier. A propos du vortex des réseaux (anti-)sociaux, je vous propose de regarder deux TEDTalks.
D’abord, celui de Ozlem Cekic, qui fut la première femme musulmane (elle est d’orgine kurde) élue au parlement danois. Elle répond aux attaques et menaces numériques en allant à la rencontre des «haters».
Et celui de Jon Ronson, qui détaille l’histoire de Justine Sacco. Entre le moment où cette Américaine active dans les relations publiques grimpe dans un avion à Londres en publiant sur Twitter une connerie qu’elle pensait être drôle, et le moment où elle se pose à Cape Town en Afrique du Sud, elle a été lynchée par une horde de guerriers du clavier, et licenciée par son employeur pris de panique face à tant de colère numérique.

Le TEDTalk de Ozlem Cekic (sous-titré en FR, 15 min) (EN)

Le coût de la démocratie. Facebook et Twitter sont les deux plateformes qui ont le plus contribué au pourrissement démocratique. Les exemples abondent: Brexit, Trump, Italie, Sri Lanka, Inde, Brésil. Il y a quelques jours, l’historien Yuval Noah Harari a donné une conférence à Lausanne, invité par l’EPFL et la Empowerment Foundation, suivie par Heidi.news. Si vous êtes parmi les rares personnes qui n’ont pas encore lu ses livres, je vous suggère de mettre dans votre valise cet été son dernier, accessible, nerveux «21 leçons pour le XXIe siècle» et de le méditer en vacances. Pendant la conférence, Harari a lancé en forme de boutade une petite phrase qui faisait référence à Facebook: «Il est étonnant de voir quels énormes dégâts politiques ils ont causé pour si peu d’argent». En effet, les dégâts démocratiques sont incalculables alors que le bénéfice de Facebook est de seulement 2 dollars par utilisateur et par an (4.3 milliards de dollars en 2018 pour 2 milliards d’utilisateurs).

Le TEDTalk de Yuval Noah Harari (sous titré en FR, 18min) (EN)

Il est temps de relire Shelley. Au lendemain de sa conférence à Lausanne, j’ai pris le petit-déjeuner avec Harari et son équipe. Il est revenu sur sa visite récente à Mark Zuckerberg. Son impression – que je partage – est que même Zuckerberg ne comprend plus très bien ce que Facebook est devenu. Il ne contrôle plus vraiment la technologie qu’il a créée, en particulier avec l’irruption de l’intelligence artificielle. «Ils ont construit des machines d’une telle dimension et complexité qu’elles leur échappent», dit-il. Cela nous a conduits à parler d’une autre «machine», de fiction celle-là, qui trouve son origine à Genève pendant l’été 1816. Son auteure, pour tuer l’ennui de quelques jours de pluie, donna naissance à Frankenstein, métaphore qui semble coller si bien aux machines technologiques d’aujourd’hui et à leur ambition totalisante. Mission de Facebook: «rapprocher le monde»; de Google: «organiser l’information mondiale et la rendre universellement accessible»; de WhatsApp: «communiquer sans barrière dans le monde entier». Sauf que le monde est compliqué. Alors relisons le livre de Mary Shelley.

Mary Shelley: «Frankenstein ou le Prométhée moderne» (Folio) (FR)
Une raison d’espérer

Une contre-vague démocrate. Après une période où l’on a pu avoir l’impression qu’une vague populiste de droite, guidée par des démagogues autoritaires, était en train de s’emparer du pouvoir en Europe de l’Est et d’œuvrer à la démolition d’une démocratie conquise depuis à peine trois décennies, il semblerait qu’une contre-vague se profile. Parmi d’autres signes: l’élection de Zuzana Caputova en Slovaquie, les résultats «libéraux» de plusieurs élections locales en Pologne, les protestations anti-corruption en Roumanie, et l’élection (deux fois) d’Ekrem Imamoğlu à la mairie d’Istanbul.

The New York Times (EN)

Le labo du FIFDH et des droits humains

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Keystone / AP / Felipe Dana

Apartheid climatique. Les droits humains peuvent-ils survivre aux changements climatiques? C’est le rapporteur de l’ONU Philip Alston qui pose la question, dans son rapport au Conseil des droits de l’Homme, parlant d’atteinte probable aux droits fondamentaux et démocratiques. Il imagine la possibilité d’un «apartheid climatique» où les riches pourront se permettre d’échapper à la faim et à la chaleur, alors que souffrira le reste du monde.

The Guardian (EN)

Les droits humains assaillis. Alors qu’on vient de célébrer, en décembre dernier, les 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, les droits humains sont assaillis de toutes parts. Certains y voient un instrument de domination et de déni des identités. D’autres contestent leur universalité, les accusant d’être inspirés par la tradition judéo-chrétienne (bien que laïquement traduite) et de ne pas correspondre à d’autres systèmes de valeurs et de cultures. Ces dernières années, les rapports de force mondiaux ont vu un certain désengagement des gouvernements attachés aux droits humains et un gain d’influence de ceux qui y sont indifférents ou activement hostiles. Selon Freedom House, les libertés démocratiques sont en recul depuis treize ans à travers le monde. Si les tendances actuelles continuent, écrivent les politologues Roberto Foa et Yascha Mounk, dans cinq ans, les pays autocratiques représenteront plus de la moitié du produit économique mondial pour la première fois depuis un siècle - avec l’influence qui va avec.

Wall Street Journal (EN)

Révisionnisme américain. La force motrice derrière la Déclaration des Droits de l’Homme en 1948 fut la First Lady Eleanor Roosevelt. Depuis, l’Amérique a toujours défendu et promu ces droits et en a fait longtemps (bien que parfois de façon hypocrite) un instrument central de sa politique étrangère. Sous Donald Trump, elle participe du mouvement inverse. Le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo vient d’annoncer la création d’une «Commission pour les droits inaliénables» afin de «revoir la question la plus fondamentale: comment établir que quelque chose est en fait un droit de l’Homme?» Il n’y a aucune raison pour cette révision - le cadre mondial est en place et solide. Mais l’exercice reflète le mépris de l’administration Trump pour l’Etat de droit, la liberté de la presse, les droits des femmes et des minorités, la séparation des pouvoirs. A la tête de la Commission, il a nommé une ancienne ambassadrice anti-avortement et anti-mariage homosexuel.

Associated Press (EN)

Sur Heidi.news aujourd’hui

La culture du Prosecco en Italie provoque une érosion des sols 30 fois supérieure aux autres vignobles européens. Une étude de l’Université de Padoue provoque la fureur des viticulteurs, alors que leurs collines de Prosecco, en Vénétie, sont devenues début juillet le 55e site italien consacré par le patrimoine mondial de l’UNESCO. Le Chianti napolitain provoquerait une érosion similaire.

Heidi.news (Le Flux Sciences) (FR)

Faut-il dire merci aux bacteries de votre microbiote pour votre belle musculature? Le développement musculaire des souris dépend de leur microbiote intestinal, d’après des recherches publiées dans Science Translational Medicine. Une découverte dont les applications potentielles s’annoncent puissantes pour la médecine de demain.

Heidi.news (Le Flux Sciences) (FR)

Non, la crise climatique actuelle n’est pas comparable aux coups de chaud du passé. La crise climatique, un phénomène transitoire comparable à d’autres époques plus ou moins chaudes ou froides que l’humain aurait déjà endurées? La réponse est non, selon trois études publiées hier soir dans Nature.

Heidi.news (Le Flux Sciences) (FR)

Ça pourrait vous étonner

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DR

Science-fiction chinoise. Il faut parfois lire de la science-fiction pour comprendre le présent. Par exemple la science-fiction chinoise, dont les mondes imaginaires peuvent être lus comme des métaphores des rapports avec l’Ouest, de la légitimité du système communiste, et des peurs et espoirs qui peuplent la psyché collective chinoise. Le plus connu des auteurs chinois est Liu Cixin, dont les livres mettent en scène des expériences sociopolitiques et des compétitions technologiques entre civilisations. Si ça sonne familier, ce n’est que de la sci-fi…

New Yorker (EN)

Alternative à Google. Depuis deux ans, j’utilise comme moteur de recherche par défaut DuckDuckGo. Malgré le nom qui sonne bizarre à nos oreilles d’européens (en Amérique, c’est celui d’un jeu d’enfants), il offre plus ou moins le même service que Google, surtout pour les recherches en anglais (il est un peu moins bon dans les autres langues, mais va en s’améliorant). Différence-clé: DDG ne fait pas de «tracking» de ses utilisateurs et ne capture pas de données personnelles.

The New York Times (EN)

Une série amazonienne. «Les seules personnes qui aiment la forêt tropicale sont les peuples autochtones et les célébrités. Les masses aiment l’argent - et il y aura beaucoup d’argent [à se faire] ici», assène le dirigeant d’une société minière fictive qui envisage de creuser une nouvelle mine dans la forêt amazonienne. Alors que le président Bolsonaro affaiblit les lois qui protègent l’environnement, et que la déforestation augmente, la nouvelle série brésilienne Aruanas (10 épisodes) met en scène à la manière d’un thriller trois femmes activistes qui enquêtent sur les activités minières.

UN Environment (EN)

Uber or not Uber. Cela pouvait être une entreprise exemplaire, de classe mondiale. Les fondateurs de Uber ont identifié un problème réel et imaginé une bonne solution, l’application est bien intégrée (sans être pour autant de la haute voltige techno) et les avantages sont nombreux: ça marche partout, ça identifie passager et conducteur, ça permet l’évaluation réciproque, le paiement est automatique, etc. Uber a toutefois construit son avancée sur de la publicité et une tarification trompeuses, l’exploitation des conducteurs, le mépris des lois et des normes commerciales, la manipulation algorithmique, du dumping (oui, les bas prix ne sont pas dus à des gains d’efficience, mais à une volonté de sous-facturer, c’est pourquoi l’entreprise perd des milliards chaque année). Pourquoi? Parce que Uber n’a jamais visé la création d’une entreprise de classe mondiale, mais plutôt la capture d’un marché et l’établissement d’un monopole.

American Affairs Journal (EN)

Bruno Giussani, bio express. Bruno Giussani est le directeur international des conférences TED, l’organisation à but non lucratif ayant créé les TEDTalks, vus en ligne par des centaines de millions de personnes, et de nombreuses autres initiatives, dont les conférences locales TEDx. Il est également président du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) de Genève. Il a été journaliste pour plusieurs titres suisses («L’Hebdo», «Giornale del Popolo», «NZZ»), italiens («La Repubblica»), français («Libération») et américains («The New York Times», où il a tenu une chronique Internet durant quatre ans). Il a également été le responsable de la stratégie numérique du World Economic Forum, a passé une année comme «Fellow» à l’Université de Stanford et a été pendant dix ans le producteur et animateur du «Forum des 100». Il a reçu un «SwissAward» en 2016.

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