Avant d'entrer dans le vif

💸 La loi climat va-t-elle faire exploser les coûts de l’énergie? Plus de 6000 francs par an et par personne, prophétise l’UDC. Et les vrais experts, que disent-ils?

🏝️ Les utopistes de la jeunesse éternelle veulent leur propre Etat. Bio-entrepreneurs et cryptolibertariens voudraient s’affranchir des règles pour trouver l’élixir de longue vie plus vite.

🇵🇸 Brutale Hébron: la cité symbole de l’occupation en photos. Depuis des années, Mohamed Amer Shallodi documente les brutalités de l’armée israélienne dans sa cité.

📧 On vous a transféré ce Point fort?
Alors n’hésitez pas à vous inscrire: c’est tous les jours et c’est gratuit.

Les platistes croient-ils vraiment à leurs foutaises?

Heidi.news, généré par IA (Lexica Art). Instruction principale: «flat brain»

🌐 Lire en ligne 🌐

On croyait le platisme à l’agonie, il nous revient en la personne d’une ambitieuse candidate républicaine décidée à devenir gouverneure de Géorgie, aux Etats-Unis. Et si la Terre était plate comme un tremplin, se demande notre chroniqueur Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à Fribourg.

Il y a ceux qui veulent sauver la planète, et il y a ceux qui veulent l’aplatir. Eh oui, la bonne vieille théorie de la Terre plate, qu’on croyait (à nouveau) à bout de souffle, vit encore.

Après sa surprenante résurgence aux alentours de 2016, à la faveur de quelques vidéos Youtube et d’un gros buzz suscité par quelques semi-célébrités ayant pris fait et cause pour ce nouveau platisme contemporain, il semblait bien que l’émergence du Covid-19, les élections américaines, le phénomène QAnon, l’antivaccinisme, le climatoscepticisme, le rejet de la 5G, l’anti-«wokisme» et l’invasion de l’Ukraine avaient relégué, à nouveau, ce reliquat pseudoscientifique dans l’oubli. Sitôt réapparu, le platisme était redevenu ringard.

C’était sans compter sur Kandiss Taylor, candidate malheureuse en 2022 au poste de gouverneur de l’État de Géorgie, avec 3,7% des voix – mais elle soupçonne une élection «truquée». Elle vient d’être élue à la chaire républicaine du premier district congressionnel de cet État (une élection non truquée, cette fois).

Jésus, des flingues et des bébés

Dernièrement, dans son podcast hebdomadaire sobrement intitulé «Jesus, Guns, and Babies», elle a choisi de deviser avec un platiste notoire et de partager son opinion sur la question de la forme de la Terre. Pour elle, l’omniprésence de «globes terrestres» – «on en voit tout le temps, c’est constant (…), ils sont partout» – est la preuve qu’«ils nous lavent le cerveau».

«Pour moi ce n’est pas un complot. Si c’était vrai [que la Terre est ronde], pourquoi l’imposer si fort partout où je vais ? (…) Il y a des globes partout, pour chaque film, émission TV, média d’information – pourquoi? De plus en plus, je me dis que ça n’a pas de sens».

En guise de précision, quelques jours plus tard, elle a cru bon d’ajouter un argument original: «Si la Terre est ronde, pourquoi les cartes sont plates?». On se le demande.

Cet argument-ci avait échappé à Samuel Rowbotham et son disciple William Carpenter, auteur du pamphlet Cent preuves que la Terre n’est pas un globe, publié en 1885. C’est à ce moment-là qu’émerge véritablement le platisme, sous l’impulsion de ces deux Britanniques iconoclastes, contrairement à une idée reçue tenace sur la notoriété de la Terre plate dans l’Antiquité et au Moyen-Âge. En fait, jusqu’au 19e siècle, quasiment personne n’y a cru. Et ça n’a jamais pris: au 20e siècle, hormis quelques saillies sporadiques, le platisme est resté confiné aux lubies d’une poignée d’olibrius.

L’extension du domaine du complot

Cette pseudo-croyance est, a toujours été, un dispositif extrême de revendication et de mobilisation permettant de se distinguer des élites et de la «science officielle». C’est une posture qui doit sa résurgence occasionnelle précisément à son caractère marginal et subversif, un moyen dérisoire de se rendre intéressant et d’affirmer son originalité.

A ce titre, il n’y a pas lieu, comme l’ont fait récemment les psychologues Philip Fernbach et Jonathan Bogard, d’en rechercher longuement les motivations cognitives et sociales pour aboutir à la conclusion qu’il s’agit d’une croyance comme les autres, bien qu’évidemment fausse et un brin extrême. Les platistes, dans le fond, se tromperaient simplement quant à la forme de la Terre.

Ce que ces chercheurs observent n’est pourtant pas inintéressant: il y a bien un sentiment flatteur de comprendre des choses complexes qui peut se transmettre par contagion dans des communautés fortement investies dans des façons de penser alternatives, surtout quand elles reposent largement sur le rejet de la science, de l’éducation et des autorités expertes.

Je suis plus éveillé que toi

Mais le platisme n’est pas simplement une «théorie du complot» parmi d’autres. C’est une idée extrêmement minoritaire, dont la plupart des complotistes ordinaires ne veulent pas entendre parler. Certains soupçonnant même qu’il s’agit d’une invention dont «ils» (les tireurs de ficelles, les Illuminati, Bill Gates et George Soros…) se servent pour les discréditer.

Faire mine d’y adhérer, c’est donc se positionner comme un éveillé parmi les éveillés, une performance jusqu’au-boutiste qui ne relève pas de la simple crédulité, et encore moins d’une curieuse tendance à voir des globes terrestres partout.

De fait, Kandiss Taylor a bien réussi à faire parler d’elle, au sein d’un parti encombré de nombreux autres complotistes «ordinaires». La Terre est plate comme un tremplin.

Il est temps de raconter le monde

✨ Heidi.news fête son premier lustre. Pour célébrer nos cinq ans, profitez de 50% de rabais sur nos abonnements et nos bons cadeaux. Nos offres anniversaires sont valables jusqu’au dimanche 12 mai inclus: faites vite!

Découvrez aussi notre toute nouvelle Exploration axée solutions, On a trouvé des journalistes heureux, qui dresse le portrait de médias qui marchent. Bonne lecture!

Trois entretiens pour aller plus loin

«Il existe des dispositions psychologiques, sociales et culturelles au complotisme.» A l’occasion de l’Exploration «Au cœur de la complosphère», j’avais déjà échangé longuement sur ce thème fascinant: qu’ont donc les complotistes dans la tête. L’occasion de creuser encore plus profond.

Anatomie de la foutaise: «C’est facile de tomber dans une pensée obscure». Le philosophe Simon-Pierre Chevarie-Cossette, à l’Université de Neuchâtel, s’est spécialisé dans l’étude de la foutaise, un axe de recherche florissant en philosophie analytique. Pour une fois qu’on peut couper les cheveux en quatre en s’amusant.

«Le complotisme tend à nos sociétés un miroir déformant.» La fascination pour le complotisme est une maladie universitaire courante. Dans cet entretien, le psychologue social Pascal Wagner-Egger, de l’Université de Fribourg, s’intéresse lui aussi aux ressorts profonds du phénomène.

Un mot sur notre chroniqueur

Sebastian Dieguez est docteur en neurosciences, il enseigne à l’Université de Fribourg. Ses recherches portent sur la formation des croyances et le complotisme. Il est l’auteur de Croiver: pourquoi les croyances ne sont pas ce que l’on croit (éd. Eliott, 2022), Le Complotisme: cognition, culture, société (éd. Mardaga, 2021) et Total Bullshit: au coeur de la post-vérité (PUF, 2018), ainsi que de chroniques dans l’hebdomadaire satyrique Vigousse.