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DrĂŽle de coĂŻncidence, le scandale autour de Tim Lindemann, le chanteur du groupe de rock-metal allemand Rammstein (enquĂȘte judiciaire ouverte pour dĂ©lits sexuels) explose en mĂȘme temps que la faction dâextrĂȘme droite AFD (Alternative fĂŒr Deutschland), annoncĂ©e deuxiĂšme force politique dans les sondages en Allemagne.
Difficile de savoir ce qui provoque le plus le malaise entre la percĂ©e de lâAFD, principalement en ex-Allemagne de lâEst ou le ramdam autour de Rammstein, plus gros vendeur germanophone de lâhistoire, 35 millions dâalbums Ă©coulĂ©s, actuellement en pleine tournĂ©e europĂ©enne.
Car les deux sont reliĂ©s par un projet: le retour dâune grande Allemagne identitaire orientĂ©e vers lâEst.
Issus de la catastrophe
Rammstein est bien plus quâun groupe de mĂ©talleux gavant son public de feu, de sexe et de sang. NĂ© dans lâex-RDA dont sont originaires tous ses membres, le groupe touille lâinconscient germanique post-DeuxiĂšme guerre mondiale et chute du Mur, au point dâen ĂȘtre devenu le reflet, le porte-voix et lâaiguillon.
Aiguillon de ses instincts les plus bas, ce qui, peut-ĂȘtre, Ă lâheure #Metoo, perdra le groupe â mais peut-ĂȘtre pas, lâĂ©poque Ă©tant aussi Ă Trump. Mais dâabord, excitation de lâinstinct patriotique. Car si Rammstein a le sens du spectacle â le groupe tire son nom dâune catastrophe aĂ©rienne ayant tuĂ© 70 personnes lors dâun meeting sur la base de Ramstein en 1988 â , il a aussi le sens de lâhistoire et dâun certain destin pangermanique.
80 ans de honte identitaire
Le groupe a souvent Ă©tĂ© accusĂ© de puiser ses rĂ©fĂ©rences dans le nazisme, sans jamais ĂȘtre incriminĂ© formellement â ils sont bien trop malins pour tomber dans cet Ă©cueil. Leurs chansons et leurs clips, formellement brillants, brassent en rĂ©alitĂ© un fonds idĂ©ologique bien plus vaste et profond. Et actuel.
- Quatre-vingt ans de honte identitaire et de pertes territoriales que le succĂšs Ă©conomique nâa pu complĂštement compenser (Ă lâOuest, lâAFD est Ă©galement bien implantĂ©e).
- La rĂ©unification qui a ouvert la boite de Pandore, libĂ©rant les fantĂŽmes dâun passĂ© congelĂ© durant lâĂšre soviĂ©tique.
- Une rancĆur tenace de lâAllemagne de lâEst contre la «domination» de la partie ouest du pays et tout ce qui lui est associĂ©: Europe, mondialisation, immigration, mĆurs progressistes, Ă©cologie⊠(Une situation aggravĂ©e encore par la crise Ă©conomique actuelle, la guerre en Ukraine et par les politiques de la coalition roses-verts-libĂ©raux).
- Les conditions rĂ©unies aujourdâhui de bĂątir Ă nouveau une grande Allemagne nationaliste et dĂ©complexĂ©e (rĂ©armement, nouvelle gĂ©nĂ©ration dĂ©lestĂ©e du fardeau de la culpabilitĂ©).
«Deutschland ĂŒber allen», «Une Allemagne au-dessus de tous», comme le chante Rammstein dans son album Deutschland (2019), rĂ©habilitant mine de rien le slogan tabou «Deutschland ĂŒber alles» («LâAllemagne avant tout»), le premier couplet amputĂ© de lâhymne national. Le temps de lâexpiation a durĂ©. Celui de lâauto-censure Ă©galement.
PanGermany first
Une grande Allemagne recentrĂ©e sur elle-mĂȘme mais rĂ©unie bien au-delĂ de ses frontiĂšres actuelles (Mitteleuropa). Dans leur forge scĂ©nique, Rammstein et sa petite bande dâOdin et de Thor reconstruisent une identitĂ© viriliste pour tous les dĂ©classĂ©s de la mondialisation et les orphelins de lâhistoire contemporaine (Mutter, 2004).
Ils ressuscitent des mythes et du folklore Ă coups de riffs. Hegel revient en nĂ©o-punk, lance-flamme et fusil Ă pompe, combattre le matĂ©rialisme ambiant. Lâennemi Ă peine dĂ©guisĂ©, câest lâOuest, Ă la fois exploiteur et consumĂ©riste («obĂšse», «qui ne bande plus»). Lâex-RDA Ă la solde de lâOncle Sam, qui a remplacĂ© le culte proscrit de Goethe et de Schiller par Coca-Cola et Mickey Mouse (Amerika, 2019).
Une menace pour lâEurope?
Ca nâest dâailleurs sĂ»rement pas un hasard si la Frankfurter Allgemeine Zeitung, grand journal bourgeois ouest-allemand, est parti en croisade contre Rammstein au prĂ©texte de lâaffaire Lindemann. Le risque de bascule est rĂ©el et menace les Ă©quilibres de lâEurope actuelle. Car lâAllemagne que vilipendent Rammstein et lâAFD sur un plan politique, est celle qui alimente lâeffort de guerre contre Poutine sur le continent et porte financiĂšrement lâEurope Ă bout de bras.
Une Allemagne qui doit Ă lâeffondrement du patriotisme post-DeuxiĂšme Guerre mondiale de sâĂȘtre dĂ©passĂ©e, devenue mĂ©ga europĂ©enne et responsable pour tous. Celle-lĂ mĂȘme qui, par devoir, a Ă©pongĂ© la dette grecque (et aujourdâhui, la dette française), assumĂ© la rĂ©unification et rĂ©alisĂ© le «Wir Shaffen das!», pourrait bien dĂ©cider aujourdâhui dâun repli sur elle-mĂȘme. Germany first, ou pire.
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