Bonjour, câest Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences Ă Fribourg, pour un Point de vue.
Le vendredi, c’est le jour oĂč votre newsletter laisse place Ă une chronique, sur l’international, la politique, la justice climatique ou, en ce qui me concerne, la cognition.
Aujourd’hui, j’aimerais vous convaincre que, mĂȘme si sa conversation est limitĂ©e, votre bĂ©gonia est intelligent.
Davantage que des IA comme ChatGPT, selon le point de vue. |
Avant d'entrer dans le vif
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Des histoires de salade et de bégonia
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Ce plant de betterave n’a pas Ă©tĂ© gĂ©nĂ©rĂ© par intelligence artificielle - c’est juste un plant de betterave, avec sa sensibilitĂ©. | Unsplash / Markus Spiske
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Quel est le rapport entre un pissenlit et ChatGPT? Hormis peut-ĂȘtre leur rĂŽle respectif dans la production de salades, on voit mal ce qui rapproche une plante dâun systĂšme dâintelligence artificielle. Et pourtant, sous un certain angle, tous deux nous contraignent Ă rĂ©examiner la condition humaine, ou du moins nos façons de la concevoir.
Les progrĂšs de lâinformatique et de la robotique sont aujourdâhui au centre des dĂ©bats, et dâaucuns se demandent sâil nâarrivera pas un moment oĂč il faudra accorder des droits moraux Ă certaines machines â si vĂ©ritablement elles deviennent «conscientes», ou au moins «intelligentes». Dans ces conditions, il peut ĂȘtre instructif de remettre en avant le dĂ©bat sur lâintelligence des plantes.
On se souvient de lâhilaritĂ© gĂ©nĂ©rale lorsque la Commission fĂ©dĂ©rale dâĂ©thique pour la biotechnologie avait produit en 2008 un rapport sur «la dignitĂ© de la crĂ©ature dans le rĂšgne vĂ©gĂ©tal». VoilĂ quâon allait nous interdire, une fois pour toutes, de marcher sur le gazon, au motif que les vĂ©gĂ©taux sont des «organismes individuels douĂ©s dâintĂ©rĂȘts propres», et Ă ce titre ont droit au respect. La presse internationale sâen fit lâĂ©cho: ils ne rigolent pas avec la nature, ces Suisses… Pourtant le rapport en question avançait des arguments essentiellement Ă©thiques, et ne se risquait pas Ă comparer les humains et les peupliers.
Respectez votre cactus nain
Certains chercheurs nâont pas tant de scrupules. La rĂ©cente discipline de la «neurobotanique» va mĂȘme aussi loin que possible dans lâattribution de conscience, sentience, intelligence et cognition Ă nos plantes vertes. Et pourquoi pas? Si on peut montrer que de nombreux vĂ©gĂ©taux sont capables dâapprendre, prennent des dĂ©cisions, anticipent lâavenir, sâadaptent Ă leur milieu, se souviennent du passĂ©, induisent leurs prĂ©dateurs en erreur, intĂšgrent et Ă©valuent des informations variĂ©es afin de fixer leurs prioritĂ©s, montrent des signes de douleur et communiquent entre eux, on est en droit dây voir un minimum de jugeote.
Bien sĂ»r, les plantes nâont pas de cerveau. Mais on y trouve des neurotransmetteurs classiques comme la dopamine et le glutamate, des potentiels dâaction calcium-dĂ©pendants comme dans nos neurones, elles Ă©mettent des phĂ©romones et sont sensibles Ă lâĂ©quivalent de nos hormones, et lorsquâelles sont en groupe, leur comportement ressemble au fruit de calculs sophistiquĂ©s.
Alors non, je ne suggĂšre pas de susurrer des mots doux Ă vos hortensias, ni dâoffrir une sĂ©pulture Ă vos roses fanĂ©es, et encore moins dâembrasser nus les arbres dans la forĂȘt (dâailleurs, sâils sont conscients, il faudrait obtenir leur consentement). Ce que ces observations nous contraignent Ă faire, câest dâaffiner nos dĂ©finitions de la cognition, de lâintelligence et de la conscience.
Si penser câest sâadapter, les plantes pensent
Ainsi, le philosophe Jonny Lee, de lâUniversitĂ© de Murcie en Espagne, rappellequâil nâexiste pas, Ă ce jour, de consensus sur ce que nous appelons exactement «cognition». Certains privilĂ©gient la facultĂ© de se reprĂ©senter mentalement des choses et dâeffectuer des opĂ©rations sur ces reprĂ©sentations, dâautres considĂšrent que câest plutĂŽt la capacitĂ© de sâadapter de façon flexible au monde environnant. Ce dĂ©bat conduit Ă une impasse entre ceux qui nient toute forme de cognition aux plantes, et ceux qui sont prĂȘts Ă leur attribuer au moins une forme «minimale» de cognition.
Mais quelle que soit lâissue de cette controverse, Lee indique que lâĂ©tude des plantes nous permet au moins de mieux saisir, au cas par cas, ces choses que nous appelons cavaliĂšrement «attention», «jugement», «dĂ©cision» ou «pensĂ©e».
Ce qui nous ramĂšne au dĂ©bat sur lâintelligence artificielle, qui soulĂšve exactement les mĂȘmes questions et conduit aux mĂȘmes difficultĂ©s thĂ©oriques. Avec des consĂ©quences inattendues: si l’on accepte que des voitures, des palettes graphiques et des «agents conversationnels» sont douĂ©s dâintelligence, alors il nous faudra peut-ĂȘtre voir nos bĂ©gonias dâun nouvel Ćil.
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Il est temps de raconter le monde
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Une communication pleine de sens.
Les plantes ne vĂ©gĂštent pas! DotĂ©es de nombreux sens, parfois trĂšs similaires Ă ceux des animaux, elles Ă©changent quantitĂ© dâinformations et de matiĂšre. Pour l’excellente revue de vulgarisation Pour la Science, la botaniste Catherine Lenne (UniversitĂ© de Clermond-Ferrand) nous propulse dans un monde totalement ignorĂ© il y a encore peu de temps.
Pour la Science (abonnés) (FR)
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Un mot sur notre chroniqueur
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Sebastian Dieguez est docteur en neurosciences, il enseigne Ă lâUniversitĂ© de Fribourg. Ses recherches portent sur la formation des croyances et le complotisme. Il est lâauteur de Croiver: pourquoi les croyances ne sont pas ce que lâon croit (Ă©d. Eliott, 2022), Le Complotisme: cognition, culture, sociĂ©tĂ© (Ă©d. Mardaga, 2021) et Total Bullshit: au coeur de la post-vĂ©ritĂ© (PUF, 2018), ainsi que de chroniques dans l’hebdomadaire satyrique Vigousse.
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