Je partage | Je m'inscris

Bonjour, c’est Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à Fribourg, pour un Point de vue.

Le vendredi, c’est le jour oĂč votre newsletter laisse place Ă  une chronique, sur l’international, la politique, la justice climatique ou, en ce qui me concerne, la cognition.

Aujourd’hui, on s’intĂ©resse Ă  l’homoncule de Penfield, un totem des neurosciences.

Le nom ne vous dit peut-ĂȘtre rien, mais vous l’avez sans doute dans l’Ɠil, ce bonhomme censĂ© reprĂ©senter la façon dont notre cerveau «voit» notre corps.

HĂ©las, triple hĂ©las, on nous «ment» depuis prĂšs d’un siĂšcle.

photo journaliste

Sebastian Dieguez,

12.05.2023

Avant d'entrer dans le vif

đŸ‡čđŸ‡· A la veille des Ă©lections, la Turquie tremble. Face Ă  l’incurie de l’Etat, la colĂšre gronde dans les rĂ©gions frappĂ©es par le sĂ©isme de fĂ©vrier. DĂ©but d’un road trip post-apo.

💡 La souverainetĂ© numĂ©rique se fraie un chemin dans le dĂ©bat public. Un symposium sur l’e-gouvernance s’est tenu Ă  GenĂšve aujourd’hui. Nous y Ă©tions.

Heidi.news fĂȘte ses 5 ans! Profitez de 50% de rabais sur nos abonnements

📧 On vous a transfĂ©rĂ© ce Point fort?
Alors n’hĂ©sitez pas Ă  vous inscrire: c’est tous les jours et c’est gratuit.

Sacré homoncule, aussi laid que trompeur

Photo article

Sculpture reprĂ©sentant l’homoncule sensoriel de Penfield. La taille des organes est proportionnelle Ă  la surface associĂ©e dans le cortex - ce qui traduit, au moins de façon approximative, le degrĂ© de finesse sensorielle. | Wikimedia Commons

🌐 Lire en ligne 🌐

Il y a des images qui frappent l’imagination, parfois au point de l’arrĂȘter net. C’est le cas d’une icĂŽne scientifique, devenue tellement marquante, si imposante et omniprĂ©sente, intimidante mĂȘme, qu’elle a induit en erreur des gĂ©nĂ©rations d’étudiants et de neuroscientifiques pendant prĂšs de 90 ans.

Il s’agit du fameux homoncule de Penfield, littĂ©ralement «le petit homme», ce drĂŽle de bonhomme difforme que l’on trouve dans tous les manuels de neurosciences.

Dans les annĂ©es 1930, Wilder Penfield, neurochirurgien canadien au Royal Hospital de l’UniversitĂ© McGill Ă  MontrĂ©al, entreprend de cartographier les fonctions du cortex cĂ©rĂ©bral par la stimulation Ă©lectrique des diffĂ©rentes rĂ©gions que lui prĂ©sentent ses patients, en attente d’une opĂ©ration. On peut en effet appliquer des Ă©lectrodes directement sur le cerveau de personnes Ă©veillĂ©es, aprĂšs leur avoir ĂŽtĂ© une portion du crĂąne, et ainsi simplement leur demander ce qu’elles ressentent Ă  ce moment.

On obtient ainsi un témoignage direct des fonctions de diverses zones du cerveau: ici je sens quelque chose dans la main droite, ah voilà que mon pied remue, oh docteur vous me caressez la joue, etc. Appliquée systématiquement sur plus de 160 personnes, cette technique a donné lieu en 1937 à un article célÚbre dans lequel sont isolées les aires sensorielles et motrices représentant le corps humain.

Un faux croquis vaut mieux qu’un long discours

Penfield a alors une idĂ©e de gĂ©nie. Il demande Ă  une artiste de dessiner un corps et un visage qui soient vaguement proportionnels Ă  l’étendue et l’emplacement des zones cĂ©rĂ©brales qui activent telle ou telle partie du corps : l’homonculus apparaĂźt ainsi la tĂȘte en bas, avec des mains, des pieds et des lĂšvres Ă©normes.

Photo article

L’homoncule sensorimoteur de Penfield dessinĂ© par Hortense Pauline Cantlie, tel que publiĂ© en 1938 dans la revue Brain. | McMillan, droits rĂ©servĂ©s.


L’artiste en question, Hortense Pauline Cantlie, une illustratrice mĂ©dicale professionnelle, sera de nouveau sollicitĂ©e en 1950 pour un livre oĂč Penfield reprend tous ses travaux. L’homoncule s’étire alors tout le long des gyrus postcentral (pour la sensibilitĂ©) et prĂ©central (pour la motricitĂ©), des circonvolutions du cortex qui sĂ©parent Ă  peu prĂšs l’avant et l’arriĂšre du cerveau.

En partant du sommet du crĂąne, un pied s’allonge dans une jambe qui devient soudain une grosse main, avant de se mĂ©tamorphoser en Ă©norme visage, suivi de la langue et du pharynx.

Photo article

L’homoncule de Penfield est ici dĂ©couplĂ© entre les dimensions sensorielle (Ă  gauche) et motrice (Ă  droite), et rapportĂ©e aux zones correspondantes du cortex cĂ©rĂ©bral. Ce dessin est paru en 1950 dans le livre de Penfield et Rasmussen. | McMillan, droits rĂ©servĂ©s


A partir de lĂ , l’homoncule aura une vie propre. MalgrĂ© les avertissements de Penfield lui-mĂȘme, qui n’y voyait qu’une «aide Ă  la mĂ©morisation» et une «caricature» sans validitĂ© scientifique, la figure tiendra lieu de reprĂ©sentation du moi corporel dans le cerveau, une entitĂ© unifiĂ©e aux contours prĂ©cis, qui explique nos ressentis intimes et nos gestes quotidiens. Hormis des modifications mineures, l’idĂ©e de base ne sera jamais remise en question. Jusqu’à cette annĂ©e.

Horreur, l’homoncule avait des trous

Perplexe suite Ă  quelques difficultĂ©s pour valider une nouvelle technique de neuro-imagerie qu’il pensait tester sur ce bon vieil homoncule, le neuroscientifique Nico Dosenbach, Ă  la Washington University de Saint Louis, dans le Missouri, dĂ©cide de tout reprendre Ă  zĂ©ro.

Il dĂ©couvre alors que l’homoncule n’est pas du tout unifiĂ©, il y a des vides entre les rĂ©gions des pieds, des mains et du visage! Qui plus est, ces trois «trous» sont fortement connectĂ©s entre eux, et plus largement Ă  un rĂ©seau dit «cingulo-operculaire», lequel est impliquĂ© dans les fonctions plus abstraites d’organisation de l’action et de maintien de la vigilance.

Il semble que ce nouveau systĂšme d’«inter-effecteurs», appelĂ© dĂ©sormais «systĂšme d’action somato-cognitif», imbriquĂ© (cachĂ©!) dans les effecteurs traditionnels et prĂ©cis (pied-main-bouche), permette d’intĂ©grer des gestes fins dans des intentions plus globales, associĂ©es aux motivations, aux buts et Ă  l’humeur de la personne entiĂšre.

La puissance des images

Comment ce systĂšme a-t-il pu Ă©chapper Ă  l’observation de milliers de chercheurs jusqu’à aujourd’hui? Certains avaient pourtant mis la main dessus, mais ils avaient considĂ©rĂ© leurs observations comme une subtilitĂ© de l’homoncule, plutĂŽt que de remettre en question l’existence de celui-ci.

Morte en 1979, Madame Cantlie n’aura jamais su que son chef-d’Ɠuvre, un monstre disgracieux destinĂ© Ă  Ă©difier des gĂ©nĂ©rations d’étudiants, Ă©tait si rĂ©ussi qu’il a induit tout le monde en erreur pendant prĂšs d’un siĂšcle…

🌐 Lire sur Heidi.news 🌐 (FR)

Il est temps de raconter le monde

Photo article

✹ Heidi.news fĂȘte son premier lustre. Pour cĂ©lĂ©brer nos cinq ans, profitez de 50% de rabais sur nos abonnements et nos bons cadeaux. Nos offres anniversaires sont valables jusqu’au dimanche 12 mai inclus: faites vite!

Découvrez aussi notre toute nouvelle Exploration axée solutions, On a trouvé des journalistes heureux, qui dresse le portrait de médias qui marchent. Bonne lecture!

Voir les abonnements

De bonnes lectures

La narration imagĂ©e de l’homme-machine. Le cerveau, masse grise, circonvoluĂ©e et spongieuse, tend Ă  se dĂ©rober Ă  notre comprĂ©hension – et pour cause, puisque nous sommes des cerveaux qui essaient de se comprendre. Dans cette entreprise ardue, l’image a toujours Ă©tĂ© d’un grand secours. Dans ce long article, j’ai esquissĂ© une histoire des reprĂ©sentations imagĂ©es du siĂšge de notre esprit.

Research Gate (accĂšs libre) (FR)

Penfield, le cartographe du cerveau. Au dĂ©but des annĂ©es 1930, un jeune neurologue canadien, Wilder Penfield, dĂ©couvre que les diffĂ©rentes parties de notre corps sont reprĂ©sentĂ©es sur une carte mentale Ă  la surface de notre cerveau. De quoi redonner du souffle Ă  l’idĂ©e, alors passĂ©e de mode, que les fonctions du cerveau s’organisent en rĂ©gions spĂ©cialisĂ©es.

Cerveau & Psycho (accĂšs libre) (FR)

Mais oĂč se trouve le clitoris? D’aprĂšs l’homoncule de Penfield, l’aire dĂ©volue Ă  la sensibilitĂ© gĂ©nitale cĂŽtoie celle du pied. Mais les chercheurs ne sont pas tous d’accord, et certaines Ă©quipent la voient plutĂŽt entre la hanche et le genou… C’est le cas d’une Ă©quipe de neuroscientifiques allemands, partie Ă  la recherche de l’aire sensorielle du clitoris Ă  l’aide d’un dispositif expĂ©rimental qui vaut le dĂ©tour.

Réalités biomédicales (accÚs libre) (FR)

Un mot sur notre chroniqueur

Sebastian Dieguez est docteur en neurosciences, il enseigne Ă  l’UniversitĂ© de Fribourg. Ses recherches portent sur la formation des croyances et le complotisme. Il est l’auteur de Croiver: pourquoi les croyances ne sont pas ce que l’on croit (Ă©d. Eliott, 2022), Le Complotisme: cognition, culture, sociĂ©tĂ© (Ă©d. Mardaga, 2021) et Total Bullshit: au coeur de la post-vĂ©ritĂ© (PUF, 2018), ainsi que de chroniques dans l’hebdomadaire satyrique Vigousse.

Vous avez aimé? Partagez:

Facebook Twitter Linkedin Instagram
b696e884-f624-429e-91a6-1af20f5cf9e3.png

Avenue du Bouchet 2
1209 GenĂšve
Suisse