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Bonjour, c’est Myret Zaki, journaliste financiùre, pour vous donner mon Point de vue.

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Car derriĂšre sa chute se trouve le «casino boursier», et c’est une vraie bombe spĂ©culative.

photo journaliste

Myret Zaki, Lausanne

07.04.2023

Avant d'entrer dans le vif

đŸ‡źđŸ‡± Au cƓur du Blavatnik Center de Tel-Aviv. «Il prĂ©fĂšre mettre son argent dans la science que dans le foot», nous dit-on de Len Blavatnik. On est allĂ© voir ce bijou de la recherche mĂ©dicale.

đŸ€– Entre les pro et les anti-IA, bientĂŽt la guerre? Au sein de la rĂ©daction, la guerre entre les pro et les anti-ChatGPT couve… Et c’est bien normal, car l’IA va tout changer.

🐠 Destruction des fonds marins: la Suisse joue la montre. Un vote crucial doit avoir lieu cet Ă©tĂ© pour empĂȘcher l’exploitation miniĂšre des ocĂ©ans. Du cĂŽtĂ© de Berne, on regarde ailleurs.

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La grenade dégoupillée derriÚre Credit Suisse

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Le célÚbre taureau de Wall Street, symbole de la fiance et ses dérives. | Pixabay / Brigitte Werner

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La chute de Credit Suisse ne doit pas ĂȘtre vue comme un phĂ©nomĂšne isolĂ©, mais comme la pointe d’un iceberg. Un iceberg de risques accumulĂ©s depuis 15 ans. Car les acteurs financiers qui prennent le plus de risques ne sont pas les banques: ce sont les acteurs de la finance non bancaire, comme les hedge funds. Et ce sont aussi les moins rĂ©gulĂ©s.

L’explication est simple: en 2008, le CongrĂšs amĂ©ricain a durci la rĂ©gulation des banques, mais en Ă©change, il a laissĂ© ces acteurs non bancaires hors de ce cadre. Cette rĂ©gulation bancaire n’était qu’une piscine Ă  trois murs, d’oĂč se sont Ă©chappĂ©s les risques pour se dĂ©velopper hors des banques


Grave erreur, car ceux qui ont hĂ©ritĂ© de ces prises de risques, ce sont de trĂšs gros fonds spĂ©culatifs, d’énormes fonds de gestion d’actifs comme BlackRock, des fonds de capital-risque, des brokers-dealers (nĂ©gociants de valeurs), des vĂ©hicules hors bilan, des fonds de marchĂ© monĂ©taire


Wall Street vaut bien Las Vegas

La finance non bancaire, celle qui n’est pas rĂ©gulĂ©e, est devenue le vrai cƓur du systĂšme financier. Elle pĂšse aujourd’hui la moitiĂ© du marchĂ© financier global, autant ou plus que les banques Ses acteurs ont une Ă©norme vulnĂ©rabilitĂ©: ils se sont endettĂ©s Ă  l’extrĂȘme, profitant de dix annĂ©es de taux d’intĂ©rĂȘt nul. S’ils s’effondrent, ils provoqueront un effet domino qu’aucune quantitĂ© de capital ne pourra couvrir. EntraĂźnant dans leur sillage le secteur bancaire et l’économie rĂ©elle.

Ces gros spĂ©culateurs, ou «Big Spec», comme on les appelle Ă  Wall Street, empruntent pour spĂ©culer. Ils n’investissent pas leur propre argent, ils font tout Ă  crĂ©dit (Ă  taux zĂ©ro). On admire en gĂ©nĂ©ral les hedge funds pour leurs stratĂ©gies hautement risquĂ©es et sophistiquĂ©es. Ils investissent avec un gros effet de levier, prennent des paris baissiers vertigineux, usent et abusent des contrats dĂ©rivĂ©s, virtuels et non provisionnĂ©s, prĂȘtent des fonds qu’ils ont eux-mĂȘmes empruntĂ©s, ou se fient Ă  des algorithmes qui tous font la mĂȘme chose. Bref, c’est ce qu’on appelle trivialement le casino boursier.

Et le casino est beaucoup moins rĂ©gulĂ© que les banques! Ces acteurs et leurs stratĂ©gies ne sont pas sujets Ă  la mĂȘme surveillance ni aux mĂȘmes exigences de fonds propres, au prĂ©texte qu’ils n’ont pas de dĂ©posants. Un peu comme si on levait les vitesses limites pour les voitures de sport sur l’autoroute, au motif qu’elles transportent moins de passagers. En oubliant qu’elles mettent en danger tous les autres.

Quand le casino fait sauter la banque

Ainsi, la finance non bancaire, qu’on appelle aussi shadow banking system, a Ă©tĂ© volontairement maintenue hors du champ rĂ©glementaire depuis 2008, histoire de prĂ©server l’attractivitĂ© du marchĂ© amĂ©ricain et son cĂŽtĂ© «loup de Wall Street», qui a tant contribuĂ© au mythe. Or aujourd’hui, ces acteurs ont le pouvoir de contaminer les banques de diverses façons, Ă  travers l’exposition de ces derniĂšres Ă  leurs stratĂ©gies.

Credit Suisse a Ă©tĂ© flanquĂ©e Ă  terre par la spĂ©culation effrĂ©nĂ©e sur ses propres dĂ©rivĂ©s de crĂ©dit (les titres qui indiquent sa probabilitĂ© de faillite). Une banque peut prĂȘter de l’argent Ă  un fonds de capital-risque (c’était le cas de Silicon Valley Bank). Une banque peut co-investir avec un hedge fund (c’était le cas de Credit Suisse avec Archegos). Elle peut ĂȘtre contrepartie Ă  des produits trĂšs spĂ©culatifs utilisĂ©s par certains de ces acteurs. L’exposition des banques Ă  la spĂ©culation non bancaire a quasiment doublĂ© en dix ans.

DĂšs lors, le gel de la confiance qui peut viser une grande banque signale une rĂ©alitĂ©: son exposition Ă  cette finance spĂ©culative est forte, et cela annihile l’effet censĂ©ment rassurant de son ratio de fonds propres Ă©levĂ©. Car l’essentiel ne se passe pas sur son bilan, mais hors de son bilan.

Un chĂšque en bois de 1,5 fois le PIB mondial

Qui a favorisĂ© cette spĂ©culation Ă  crĂ©dit des acteurs non bancaires? Les banques centrales. En maintenant ses taux Ă  zĂ©ro sur presque toute la pĂ©riode entre 2009 et 2021, la Fed a nourri un vĂ©ritable Everest des risques. La masse de crĂ©dit spĂ©culatif de la finance non bancaire est dĂ©sormais de 152’000 milliards en 2021, selon le dernier rapport du G20. La moitiĂ© de cette somme reprĂ©sente un risque systĂ©mique direct.

C’est un montant phĂ©nomĂ©nal, pour des crĂ©dits spĂ©culatifs largement non provisionnĂ©s. Un chĂšque sans provisions, en somme, d’une fois et demi le PIB mondial.

ProblĂšme: quand l’inflation s’est manifestĂ©e il y a deux ans, elle a forcĂ© les banques centrales Ă  relever les taux d’intĂ©rĂȘt comme elles ne l’avaient jamais fait en 15 ans, mettant fin Ă  l’argent facile qui enivrait les marchĂ©s. En 2016, dans un ouvrage que j’ai coĂ©crit sur le shadow banking, nous faisions un constat radical: que les taux d’intĂ©rĂȘt amĂ©ricains ne pourraient plus jamais remonter Ă  cause de cette masse de crĂ©dit spĂ©culatif non bancaire. Je la comparais Ă  un ballon surgonflĂ©, que l’aiguille des taux ne pourrait qu’éclater. Le constat, alors vertigineux, est en train de se vĂ©rifier.

Une grenade dégoupillée

Ce 4 avril 2023, un rapport du FMI confirme cette prĂ©diction. Il constate que la montagne de risques du secteur non bancaire, Ă©troitement connectĂ© aux banques, est devenue Ă©norme. Et que la remontĂ©e des taux d’intĂ©rĂȘt pose dĂšs lors un problĂšme pour la stabilitĂ© financiĂšre globale. L’option de la facilitĂ©, celle de baisser Ă  nouveau les taux Ă  0%, n’existe plus: l’inflation est bien trop Ă©levĂ©e et cela la dĂ©cuplerait encore.

Une seule solution: les rĂ©gulateurs doivent forcer les acteurs de la spĂ©culation non bancaire Ă  couvrir leurs risques et se doter de capital suffisant. Et surtout, Ă  se dĂ©sendetter. Le pire est que la Chine l’a fait depuis 2017, menant campagne pour que les acteurs du shadow banking se dĂ©sendettent, pendant que les Etats-Unis laissaient filer la dette de ces acteurs. Les responsabiliser protĂ©gera en dĂ©finitive les salariĂ©s de l’économie rĂ©elle, qui n’accepteront pas indĂ©finiment que ces dĂ©rives croissantes et incontrĂŽlĂ©es soient Ă©pongĂ©es.

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On en avait parlé

Credit Suisse: Sergio Ermotti, dans le viseur de la finance mondiale. Le Tessinois a la difficile mission de diriger UBS, qui va devoir intĂ©grer Credit Suisse. La presse alĂ©manique Ă©voque jusqu’Ă  36’000 licenciements dans le monde, dont 11’000 en Suisse.

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Credit Suisse: le Conseil fĂ©dĂ©ral n’est pas au bout de ses peines. Les autoritĂ©s suisses font face Ă  des vents contraires depuis l’annonce du rachat de Credit Suisse par UBS. Sur le plan politique, la situation est tendue. Au niveau international, le risque d’une crise bancaire n’est pas Ă©cartĂ©, au contraire.

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La chute de Credit Suisse, une aubaine pour le climat? Credit Suisse figure parmi les banques qui investissent le plus dans les combustibles fossiles. Son sauvetage sera-t-il l’occasion de responsabiliser le secteur financier Ă  la crise climatique? L’avis d’Eric Jondeau, professeur de finance Ă  HEC Lausanne.

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Il est temps de raconter le monde

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Bien vu

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Source : Conseil de stabilité financiÚre, rapports 2002-2021.

Et le ballon gonfle, gonfle… La masse de crĂ©dit spĂ©culatif de la finance non bancaire est passĂ©e de 67’000 milliards en 2011, ce qui Ă©tait dĂ©jĂ  Ă©norme, Ă  152’000 milliards en 2021. La moitiĂ© de cette somme reprĂ©sente un risque systĂ©mique direct. Sur ce graphique, on constate comment cette masse de crĂ©dit spĂ©culatif a explosĂ© depuis dix ans.

Il est issu du dernier rapport de rĂ©fĂ©rence sur le shadow banking, ou finance non bancaire, sorti en 2022. RĂ©digĂ© par le Conseil de stabilitĂ© financiĂšre du G20, il mĂ©rite d’ĂȘtre suivi de prĂšs, malgrĂ© sa formulation trĂšs technique, car il informe sur le montant, sans cesse croissant, de cette masse de risques spĂ©culatifs, et sur la nature de ces risques.

Conseil de stabilité financiÚre du G20 (EN)

De bonnes lectures

La finance de l’ombre et son lien avec les banques. Le dernier rapport du FMI sur le shadow banking, en date du 4 avril 2023, Ă©tablit un lien trĂšs parlant entre les crises bancaires auxquelles on assiste actuellement et les risques importĂ©s du shadow banking system, marchĂ© trĂšs endettĂ© et gĂ©nĂ©rateur de fortes vulnĂ©rabilitĂ©s avec l’actuelle remontĂ©e des taux d’intĂ©rĂȘt.

Rapport du FMI (accĂšs libre) (EN)

PĂ©kin ou Washington, qui est le meilleur coupable? Cet article de Bloomberg met les choses au point: alors qu’on se focalise toujours sur le shadow banking en Chine, c’est de loin aux Etats-Unis que se dĂ©veloppent les plus gros risques de cette finance non bancaire, devenue contagieuse Ă  cause de son excĂšs de dette.

Bloomberg (accĂšs libre) (EN)

Un mot sur notre chroniqueuse

Myret Zaki, titulaire d’un MBA de la Business School Lausanne, est journaliste financiĂšre depuis 23 ans. Ses spĂ©cialitĂ©s portent sur le monde Ă©conomique et bancaire, les marchĂ©s boursiers et l’investissement, les statistiques nationales, mais aussi la dĂ©sinformation institutionnelle et la guerre de l’information.

AprĂšs neuf ans au Temps, elle a Ă©tĂ© rĂ©dactrice en chef de Bilan de 2014 et 2019. Elle Ă©crit aujourd’hui pour Blick, Bilan et TheMarket (NZZ). Autrice de cinq ouvrages sur la finance, elle a obtenu le prix Schweizer Journalist 2008 pour UBS, les dessous d’un scandale (Ă©d. Favre, 2008). En 2022, elle a publiĂ© DĂ©sinformation Ă©conomique (Ă©d. Favre).

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