Bonjour, câest Myret Zaki, journaliste financiĂšre, pour vous donner mon Point de vue.
Le vendredi, c’est le jour oĂč votre newsletter laisse la place Ă un chroniqueur, sur la politique, les neurosciences, ou en l’occurrence, l’Ă©conomie.
Vous avez aimĂ© l’Ă©pisode Credit Suisse? Vous allez adorer la suite…
Car derriĂšre sa chute se trouve le «casino boursier», et c’est une vraie bombe spĂ©culative. |
Avant d'entrer dans le vif
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La grenade dégoupillée derriÚre Credit Suisse
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Le célÚbre taureau de Wall Street, symbole de la fiance et ses dérives. | Pixabay / Brigitte Werner
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La chute de Credit Suisse ne doit pas ĂȘtre vue comme un phĂ©nomĂšne isolĂ©, mais comme la pointe dâun iceberg. Un iceberg de risques accumulĂ©s depuis 15 ans. Car les acteurs financiers qui prennent le plus de risques ne sont pas les banques: ce sont les acteurs de la finance non bancaire, comme les hedge funds. Et ce sont aussi les moins rĂ©gulĂ©s.
Lâexplication est simple: en 2008, le CongrĂšs amĂ©ricain a durci la rĂ©gulation des banques, mais en Ă©change, il a laissĂ© ces acteurs non bancaires hors de ce cadre. Cette rĂ©gulation bancaire nâĂ©tait quâune piscine Ă trois murs, dâoĂč se sont Ă©chappĂ©s les risques pour se dĂ©velopper hors des banquesâŠ
Grave erreur, car ceux qui ont hĂ©ritĂ© de ces prises de risques, ce sont de trĂšs gros fonds spĂ©culatifs, dâĂ©normes fonds de gestion dâactifs comme BlackRock, des fonds de capital-risque, des brokers-dealers (nĂ©gociants de valeurs), des vĂ©hicules hors bilan, des fonds de marchĂ© monĂ©taireâŠ
Wall Street vaut bien Las Vegas
La finance non bancaire, celle qui nâest pas rĂ©gulĂ©e, est devenue le vrai cĆur du systĂšme financier. Elle pĂšse aujourdâhui la moitiĂ© du marchĂ© financier global, autant ou plus que les banques Ses acteurs ont une Ă©norme vulnĂ©rabilitĂ©: ils se sont endettĂ©s Ă lâextrĂȘme, profitant de dix annĂ©es de taux dâintĂ©rĂȘt nul. Sâils sâeffondrent, ils provoqueront un effet domino quâaucune quantitĂ© de capital ne pourra couvrir. EntraĂźnant dans leur sillage le secteur bancaire et lâĂ©conomie rĂ©elle.
Ces gros spĂ©culateurs, ou «Big Spec», comme on les appelle Ă Wall Street, empruntent pour spĂ©culer. Ils nâinvestissent pas leur propre argent, ils font tout Ă crĂ©dit (Ă taux zĂ©ro). On admire en gĂ©nĂ©ral les hedge funds pour leurs stratĂ©gies hautement risquĂ©es et sophistiquĂ©es. Ils investissent avec un gros effet de levier, prennent des paris baissiers vertigineux, usent et abusent des contrats dĂ©rivĂ©s, virtuels et non provisionnĂ©s, prĂȘtent des fonds quâils ont eux-mĂȘmes empruntĂ©s, ou se fient Ă des algorithmes qui tous font la mĂȘme chose. Bref, câest ce quâon appelle trivialement le casino boursier.
Et le casino est beaucoup moins rĂ©gulĂ© que les banques! Ces acteurs et leurs stratĂ©gies ne sont pas sujets Ă la mĂȘme surveillance ni aux mĂȘmes exigences de fonds propres, au prĂ©texte quâils nâont pas de dĂ©posants. Un peu comme si on levait les vitesses limites pour les voitures de sport sur lâautoroute, au motif quâelles transportent moins de passagers. En oubliant quâelles mettent en danger tous les autres.
Quand le casino fait sauter la banque
Ainsi, la finance non bancaire, quâon appelle aussi shadow banking system, a Ă©tĂ© volontairement maintenue hors du champ rĂ©glementaire depuis 2008, histoire de prĂ©server lâattractivitĂ© du marchĂ© amĂ©ricain et son cĂŽtĂ© «loup de Wall Street», qui a tant contribuĂ© au mythe. Or aujourdâhui, ces acteurs ont le pouvoir de contaminer les banques de diverses façons, Ă travers lâexposition de ces derniĂšres Ă leurs stratĂ©gies.
Credit Suisse a Ă©tĂ© flanquĂ©e Ă terre par la spĂ©culation effrĂ©nĂ©e sur ses propres dĂ©rivĂ©s de crĂ©dit (les titres qui indiquent sa probabilitĂ© de faillite). Une banque peut prĂȘter de lâargent Ă un fonds de capital-risque (câĂ©tait le cas de Silicon Valley Bank). Une banque peut co-investir avec un hedge fund (câĂ©tait le cas de Credit Suisse avec Archegos). Elle peut ĂȘtre contrepartie Ă des produits trĂšs spĂ©culatifs utilisĂ©s par certains de ces acteurs. Lâexposition des banques Ă la spĂ©culation non bancaire a quasiment doublĂ© en dix ans.
DĂšs lors, le gel de la confiance qui peut viser une grande banque signale une rĂ©alitĂ©: son exposition Ă cette finance spĂ©culative est forte, et cela annihile lâeffet censĂ©ment rassurant de son ratio de fonds propres Ă©levĂ©. Car lâessentiel ne se passe pas sur son bilan, mais hors de son bilan.
Un chĂšque en bois de 1,5 fois le PIB mondial
Qui a favorisĂ© cette spĂ©culation Ă crĂ©dit des acteurs non bancaires? Les banques centrales. En maintenant ses taux Ă zĂ©ro sur presque toute la pĂ©riode entre 2009 et 2021, la Fed a nourri un vĂ©ritable Everest des risques. La masse de crĂ©dit spĂ©culatif de la finance non bancaire est dĂ©sormais de 152â000 milliards en 2021, selon le dernier rapport du G20. La moitiĂ© de cette somme reprĂ©sente un risque systĂ©mique direct.
Câest un montant phĂ©nomĂ©nal, pour des crĂ©dits spĂ©culatifs largement non provisionnĂ©s. Un chĂšque sans provisions, en somme, dâune fois et demi le PIB mondial.
ProblĂšme: quand lâinflation sâest manifestĂ©e il y a deux ans, elle a forcĂ© les banques centrales Ă relever les taux dâintĂ©rĂȘt comme elles ne lâavaient jamais fait en 15 ans, mettant fin Ă lâargent facile qui enivrait les marchĂ©s. En 2016, dans un ouvrage que jâai coĂ©crit sur le shadow banking, nous faisions un constat radical: que les taux dâintĂ©rĂȘt amĂ©ricains ne pourraient plus jamais remonter Ă cause de cette masse de crĂ©dit spĂ©culatif non bancaire. Je la comparais Ă un ballon surgonflĂ©, que lâaiguille des taux ne pourrait quâĂ©clater. Le constat, alors vertigineux, est en train de se vĂ©rifier.
Une grenade dégoupillée
Ce 4 avril 2023, un rapport du FMI confirme cette prĂ©diction. Il constate que la montagne de risques du secteur non bancaire, Ă©troitement connectĂ© aux banques, est devenue Ă©norme. Et que la remontĂ©e des taux d’intĂ©rĂȘt pose dĂšs lors un problĂšme pour la stabilitĂ© financiĂšre globale. Lâoption de la facilitĂ©, celle de baisser Ă nouveau les taux Ă 0%, nâexiste plus: lâinflation est bien trop Ă©levĂ©e et cela la dĂ©cuplerait encore.
Une seule solution: les rĂ©gulateurs doivent forcer les acteurs de la spĂ©culation non bancaire Ă couvrir leurs risques et se doter de capital suffisant. Et surtout, Ă se dĂ©sendetter. Le pire est que la Chine lâa fait depuis 2017, menant campagne pour que les acteurs du shadow banking se dĂ©sendettent, pendant que les Etats-Unis laissaient filer la dette de ces acteurs. Les responsabiliser protĂ©gera en dĂ©finitive les salariĂ©s de lâĂ©conomie rĂ©elle, qui nâaccepteront pas indĂ©finiment que ces dĂ©rives croissantes et incontrĂŽlĂ©es soient Ă©pongĂ©es.
đ Lire sur Heidi.news đ (FR)
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Il est temps de raconter le monde
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Source : Conseil de stabilité financiÚre, rapports 2002-2021.
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Et le ballon gonfle, gonfle…
La masse de crĂ©dit spĂ©culatif de la finance non bancaire est passĂ©e de 67’000 milliards en 2011, ce qui Ă©tait dĂ©jĂ Ă©norme, Ă 152â000 milliards en 2021. La moitiĂ© de cette somme reprĂ©sente un risque systĂ©mique direct. Sur ce graphique, on constate comment cette masse de crĂ©dit spĂ©culatif a explosĂ© depuis dix ans.
Il est issu du dernier rapport de rĂ©fĂ©rence sur le shadow banking, ou finance non bancaire, sorti en 2022. RĂ©digĂ© par le Conseil de stabilitĂ© financiĂšre du G20, il mĂ©rite dâĂȘtre suivi de prĂšs, malgrĂ© sa formulation trĂšs technique, car il informe sur le montant, sans cesse croissant, de cette masse de risques spĂ©culatifs, et sur la nature de ces risques.
Conseil de stabilité financiÚre du G20 (EN)
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Un mot sur notre chroniqueuse
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Myret Zaki, titulaire dâun MBA de la Business School Lausanne, est journaliste financiĂšre depuis 23 ans. Ses spĂ©cialitĂ©s portent sur le monde Ă©conomique et bancaire, les marchĂ©s boursiers et lâinvestissement, les statistiques nationales, mais aussi la dĂ©sinformation institutionnelle et la guerre de lâinformation.
AprĂšs neuf ans au Temps, elle a Ă©tĂ© rĂ©dactrice en chef de Bilan de 2014 et 2019. Elle Ă©crit aujourdâhui pour Blick, Bilan et TheMarket (NZZ). Autrice de cinq ouvrages sur la finance, elle a obtenu le prix Schweizer Journalist 2008 pour UBS, les dessous dâun scandale (Ă©d. Favre, 2008). En 2022, elle a publiĂ© DĂ©sinformation Ă©conomique (Ă©d. Favre).
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