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Bonjour, c’est kimura (*), à Lausanne, où je participe lundi 10 novembre à une soirée au Zinema sur les questions d’adoption, de transmission et d’accès aux informations avec la Corée.

Plus de 200’000 enfants coréens ont été adoptés en Occident dans la seconde moitié du 20e siècle. J’en fais partie, tout comme les autres intervenantes de la soirée.

Merci au Point du jour de cette invitation à en parler.

Début octobre, pour la première fois, le président coréen Lee Jae-myung nous a présenté des excuses, pour des pratiques d’adoption abusives et parfois frauduleuses, durant des décennies.

Mais le problème est loin d’être réglé…

photo journaliste

kimura byol lemoine à Lausanne
06.11.2025

Adoptions sud-coréennes: l’exigence de vérité

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kimura byol lemoine, artiste, activiste et archiviste | DR


Mon histoire,
comme celle de tant d’autres, commence par un dossier d’adoption falsifié. Mais avant cela, il y a une image: celle des Jeux olympiques de Séoul en 1988. Le monde découvre la Corée du Sud, et moi aussi.

Cette année-là, je réalise mon premier court-métrage expérimental en Super 8: Adoption. Le cinéma devient pour moi un moyen de chercher, de comprendre, de reconstituer ce qui a été effacé. Ce film m’amène à retourner en Corée et à me confronter à la réalité du pays que j’aurais pu habiter – plutôt que la Belgique.

Là-bas, par hasard, je rencontre d’autres personnes adoptées, invitées par le gouvernement. C’est la première fois que je me retrouve avec des semblables, adoptés en Suisse, en Europe, aux Etats-Unis, au Canada. Parmi elles, Matjas Tjeder, co-fondateur en Suède en 1986 de l’AKF, la première association d’adopté·es au monde.

Ma biographie s’effondre

Un an plus tard, je retourne en Corée et retrouve ma mère biologique qui me dit qu’elle ignorait que j’étais «encore en vie». J’ai eu de la chance, comme j’étais parmi les premières personnes à faire cette démarche, les administrations concernées n’étaient pas encore débordées. Elle m’apprend que je ne m’appelle pas Cho Mihee mais Kimura Byol; que je ne suis pas née à Séoul mais à Busan; pas en 1965, mais en 1968 et que mon père n’était pas Américain blanc, mais Japonais.

En quelques minutes, ma biographie s’effondre. Tout ce que j’avais cru être – mon nom, ma naissance, ma filiation – était une fiction administrative et abusive. Cette révélation, brutale, m’a aussi ouvert la voie d’un engagement: retrouver la vérité pour moi, pour d’autres.

De retour en Belgique, en 1991, je fonde l’Euro-Korean League (EK-L), la première association de Coréen·nes adopté·es du pays. J’y partage une nouvelle essentielle: il est possible de retrouver nos parents, même quand nos dossiers disent qu’on est orphelin. Je comprends très vite qu’il ne suffit pas de témoigner, il faut s’organiser.

L’incompréhension, de part et d’autre

L’année suivante, je repars en Corée pour co-fonder la première association d’adopté·es à l’étranger, afin de comprendre le système d’adoption sud-coréen et la société qui le produit.

Le plus souvent, les Sud-Coréens ne comprenaient pas, nos familles adoptives non plus: pourquoi revenir en arrière alors que nous avions eu «la chance» d’avoir été adopté·es en Occident?

Nous revenions pour réécrire nos histoires.

En Corée, je me donne alors la mission d’aider les adopté·es à retrouver des traces de leur passé: orphelinats, familles biologiques, documents originaux. Durant ma première année sur place, avec un visa étudiant, je partage mon temps entre les cours de langue, la structuration de l’association et l’accompagnement de centaines de recherches familiales.

Peu à peu, je découvre l’ampleur des causes structurelles qui ont alimenté l’adoption. Le racisme d’abord: les enfants métis étaient rejetés par une société obsédée par la «pureté ethnique». La religion ensuite: les églises chrétiennes, qui représentent plus de la moitié de la population, condamnaient sévèrement les mères non mariées. Le chamanisme, aussi: certaines croyances faisaient des jumeaux et des enfants en situation de handicap des signes de malheur, poussant certaines familles à abandonner leurs enfants. Et puis, la pauvreté au sortir de la Deuxième Guerre mondiale et de la Guerre de Corée (1950-1953): en l’absence d’un système d’aide sociale, beaucoup de familles se tournaient vers les églises, qui ont servi d’intermédiaires dans de nombreuses adoptions illégales. Tout cela formait un système. Et ce système trouvait, à l’étranger, des incitations et des relais institutionnels et privés, avec des parents qui ne rêvaient que d’adopter.

Creuser dans les registres

Après avoir mené des enquêtes pour plus d’un millier d’adopté·es venu·es de l’Europe, puis d’Amérique du Nord, je me suis heurté à la réticence et à la mauvaise foi des agences d’adoption, qui gardent le contrôle sur nos informations personnelles sous couvert de «règlements internes».

Je me souviens par exemple d’une adoptée venue me voir avec quelques papiers jaunis. Son agence lui avait assuré qu’il n’y avait «rien à faire». En relisant ses documents, je trouve la date à laquelle elle a été trouvée: nous allons ensemble à la mairie de la ville concernée. Dans les registres, nous trouvons un nom, l’âge de la personne et une adresse – des éléments qui étaient absents du dossier officiel.

Grâce à la gentillesse d’un policier, nous obtenons une liste de 72 personnes correspondant à ces critères. J’écris à chacune d’elles en coréen (avec l’aide des bénévoles de mon association). Je prends la peine d’écrire toutes les adresses, à la main, parce que le bureau de police refusait de me faire des photocopies. Un mois plus tard, une femme répond: c’est sa mère.

Quand une assistante sociale ment

Dans un autre cas, j’ai accompagné un adopté américain à son agence. L’assistante sociale lui sourit: elle dit avoir le nom de sa mère biologique, mais ne pas pouvoir le lui donner. Elle montre une empreinte digitale en guise de signature qui serait censée indiquer que sa mère avait consenti à son adoption. L’adopté demande son nom. L’assistante sociale hésite, puis dit: «Lee Keum-Ja».

Mais je lis le coréen, même à l’envers: le nom inscrit est Kim Kyung-Ja, à côté d’un numéro de carte d’identité. Je les note discrètement. À la sortie, je révèle la vérité à l’adopté. Il veut retourner confronter l’assistante sociale qu’il avait chaleureusement remerciée quelques minutes plus tôt. Je l’en empêche: sa colère, légitime, ne servirait pas les autres adopté·es qui passeront après lui.

Aujourd’hui, alors que la Chine a fermé ses programmes d’adoption internationale, que plusieurs pays européens les remettent en question, que le Québec tente de les réformer (moins par souci éthique que parce que les agences y perdent de l’argent), et que le président sud-coréen Lee Jae-Myung a reconnu les choses – dans un communiqué en coréen seulement, sans prendre la peine de traduire dans les langues de nos pays d’adoption –, la Suisse débat quant à elle encore de savoir s’il faut poursuivre les adoptions internationales, malgré les scandales et les révélations de trafics et de falsifications de dossiers.

Reposer la question cruciale

En Belgique, en France, en Suède et ailleurs, des associations mènent aujourd’hui un travail essentiel: dénoncer la rétention d’informations par les agences d’adoption, défendre le droit d’accès à nos dossiers et à des informations véridiques, collaborer avec les Commissions vérité et réconciliation et reposer une question cruciale: l’adoption internationale, telle qu’elle a été pratiquée par vagues, à commencer historiquement par des enfants originaires d’Asie, dont la Corée du Sud, peut-elle encore être présentée comme une solution et une pratique humanitaire?

Nous les adopté·es avons appris à chercher ce que les Etats voulaient cacher. Nous continuons à bâtir nos propres archives, à enquêter, à documenter, à produire nos propres savoirs et reconstruire nos histoires – pour nous et nos descendant·es, qui ont déjà commencé à le faire en propre, notamment avec «DoKAD stories». Aujourd’hui, nous ne demandons pas seulement des excuses, mais le droit à exister dans la vérité.

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Avec ma grand-mère (adoptive) à Bruxelles au début des années 1970. | DR


La soirée à Lausanne.
Depuis 2018, le mois de novembre est, en Francophonie, le mois de la visibilité des personnes adoptées – et non plus des parents adoptifs comme c’était le cas depuis 1995. Ce déplacement du regard, du foyer adoptif vers les personnes adoptées, marque un changement profond: nous reprenons la parole pour nous réapproprier nos histoires et raconter l’adoption autrement pour nous, pour et avec nos descendant·es.

Le 10 novembre 2025, de 19 à 21h, au Zinema de Lausanne (4 rue du Maupas), je participe à la soirée organisée par la Dre Cynthia Kraus, philosophe des sciences, personne concernée par l’adoption en Corée, et représentante suisse de Francophones FKRG - Groupe pour les droits en Corée, fondé par kimura byol lemoine. Nous y parlerons de l’adoption internationale, de l’accès difficile parfois impossible à nos dossiers, de documents falsifiés, des obstacles et silences institutionnels, tant dans notre pays d’origine que dans les pays d’adoption.

J’interviendrai à double titre: comme artiste, avec la projection de quelques courts-métrages, et comme activiste et personne adoptée. A mes côtés, Maïté Maeum Jeannolin, danseuse, réalisatrice et descendante d’une mère d’origine sud-coréenne adoptée en France, présentera un court-métrage sur la deuxième génération: ces enfants d’adopté·es qui interrogent ce que (ne pas pouvoir) transmettre veut dire. La table ronde animée par Cynthia Kraus réunira aussi Béatrice Kwon Aubert, adoptée suisse qui a soumis une requête auprès de la Commission vérité et réconciliation de Corée. Elle se conclura par un échange avec la salle.

Ce soir-là, nous serons plusieurs à faire ce que l’adoption a longtemps empêché: parler de notre propre voix.

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Une scène de mon film «Adoption» (1988). | DR


Les lectures que je vous recommande.
Dans l’ouvrage, Adoptiert (1991, Cosmos Verlag), la contribution de Ji Yuhn Engel, une adoptée suisse qui s’est suicidée, m’a hanté pendant longtemps.

Pour comprendre ce que signifie être adopté·e, je vous recommande aussi l’ouvrage pionnier Comforting an orphaned nation (Université de Karlstad, Suède, 2005) de Tobias Hübinette, personne concernée et diplômé d’études coréennes.

D’autres voix essentielles ont suivi: Cathy Min Jung (Les bonnes Intentions, Belgique, 2012), Amandine Gay (Une poupée en Chocolat, France, 2021), Dédé Chen (Le complexe du Sauveur Blanc : Ce que cache mon adoption, Québec, 2021) ou encore Johee Bourgain (L’adoption internationale : Mythes et réalités, France, 2021). Tous et toutes explorent la complexité de l’adoption transraciale telle que vécue par les adopté·es.

Offrez Heidi.news pour les fêtes!

Bio express

(*) kimura byol lemoine s’écrit en lettres minuscules et dans l’ordre non-euro-centrique. Le nom de famille japonais, puis le prénom coréen, puis le nom d’adoption. Sachant qu’en Corée et au Japon, le nom de famille se place avant le prénom et en Occident le nom de famille après le(s) prénom(s). Ainsi je respecte mes identités multiples. Je suis artiste multidisciplinaire, commissaire d’exposition et archiviste queer féministe à Montréal où je milite auprès de différentes communautés pour donner une voix et une visibilité aux minorités avec des thématiques liées à l’identité, la diaspora, le déplacement, le genre et la sexualité.

Pendant ce temps sur Heidi.news

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Une rue de Nancun, près de Canton, village où se concentrent un grand nombre des sous-traitants de Shein. | Panos Pictures / Qilai Shen

Chez Shein, des mannequins sans tête et des croix gammées en or. Alors que le géant chinois Shein est pris dans un scandale en France, où des poupées sexuelles d’apparence enfantine ont été découvertes dans son catalogue (le gouvernement demande la suspension du site), cela vaut la peine de lire ou relire notre Exploration «L’Empire du Miteux». En particulier cet épisode, où l’on découvre que Shein crée de nouveaux modèles de vêtements plus vite que son ombre, en essayant juste d’éviter les bad buzz…

«L’Empire du Miteux», épisode 4

Derrière le chaos soudanais, la bataille secrète de l’or. Les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont pris El-Fasher, au Darfour, le 26 octobre, et commis un massacre de grande ampleur. Les Emirats arabes unis sont pointés du doigt: ils ont fait parvenir au mouvement rebelle de l’armement de pointe – drones de fabrication chinoise, armes légères, mitrailleuses lourdes, véhicules, l’artillerie, mortiers, munitions, des systèmes de défense aérienne sophistiqués et même un contingent de plusieurs centaines de mercenaires colombiens déployés à El-Fasher. La contrepartie? Les FSR sont le principal pourvoyeur d’or de contrebande à destination de Dubaï.

«La guerre la plus nihiliste du monde?», épisode 6

Que devient le deuil quand la tech veut sécher nos larmes? Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents, a dit un jour Victor Hugo. C’est tellement vrai que les nouvelles technologies prétendent désormais nous aider à faire revivre nos proches. Face à ce réconfort de silicium, comment choisirons-nous de vivre nos deuils?

«La mort est notre métier», épisode 2

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La 8ᵉ édition du Forum Santé aura pour toile de fond une question simple, mais cruciale: et si l’on remettait enfin la santé… au cœur du système de santé?

Au programme: comment mieux intégrer la prévention dans notre système de santé, les outils numériques peuvent-ils aider à mieux prévenir la survenue de pathologies, et faut-il repenser totalement le fonctionnement des assurances maladies? Ne manquez pas la présence exclusive d’Élisabeth Baume-Schneider, qui viendra parler de coûts de la santé et des efforts de la Confédération pour les réduire.

Participez à un concours exclusif réservé au lectorat de Heidi.news et tentez de gagner des places à cet événement (délai de participation: 13.11 à 12h00).

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