Les infos qui «comptent»

Le poème «la mer oubliée» pour la catastrophe de Cressier.

C’est la mer oubliée, écoute comme vont
Ses vagues de la rive au large, flux inverse!
C’est la mer entendue; ainsi nous arrivons
Et l’écume sur nous file sa blanche averse.

Perdus, mais patients à l’exemple des bêtes,
La vie au loin, certes partir est décisif.
C’est la mer oubliée, et dites qui vous êtes
Si la lune soudaine environne l’esquif.

Adieu, rappelez-vous quelques longues vendanges
De visages blottis et d’autres mal aimés;
Rappelez-vous la terre et le parfum des anges
Et les hommes debout dans les temps affamés.
(Gilbert Trolliet, Le Fleuve et l’Être, 2021)

Poème «La fourmilière» pour un record de trempérature dans un village canadien

Ce cri
Rampant
De multitude
Et de terreur risible –

Si c’était nous ?
(Gilbert Trolliet, Laconiques, 1966)

Il est temps de raconter le monde

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A l'horizon

«Et qui, si je criais m’entendrait donc…?» Mes «actualités» sont assez distantes de celles que les médias nous communiquent quotidiennement dans la profusion… Je les entends pourtant, les observe, et les considère dans leurs conditions de surgissement avec le différé qui m’est nécessaire pour essayer de penser. L’historien italien Carlo Ginzburg dirait: «lire lentement»!

C’est la vie
Qu’est-ce à dire
La vie ?
Un cri
Serré
De chair.
Un accès de mémoire.
Un mot
(S’il n’est qu’un mot)
Craché par la fenêtre.
(Gilbert Trolliet, Laconiques, 1966)

Tout de même actuelles… La crise sanitaire s’atténue, apparemment; mais qu’en est-il des autres crises tapies sous son voile – économique, politique, géographique et aussi climatique, à l’ère anthropocène, que le grand poète Michel Deguy évoquait il y a quelques années par le terme de «géocide»?

Écologique
Elle est perdue…
- Quoi ?
- La terre.
C’était la mer mêlée avec le soleil
Comment la retrouver ?
- Quoi ?
- La terre.
C’est l’immensité
où le fini se jette à l’embouchure de l’infini
(Michel Deguy, La vie subite, 2016)

Possible

Ne compte plus
L’heure qui va, les heures qui défaillent
Vers un gouffre bleui de gel ou de mémoire.

Plus menaçants, plus menacés
Sont les débris d’un âge enfanté de la foudre,
Et la rémission de toutes les paroles
Dans un lieu sans objet.

Là, sous les voûtes du Possible
Et par un vide pur à tenter le cristal,
Nulle automne ne se raconte
Les demains jamais ne se comptent
Et sont les hôtes d’un regard
Inespéré, cousu de pluie aveugle
Et de faim merveilleuse.
(Gilbert Trolliet, L’inespéré, 1949)

Dans mon labo poétique

La réception française d’Ezra Pound. En 1958, la revue romande Présence, que dirige Gilbert Trolliet, envisage de consacrer un numéro au poète américain Ezra Pound (1885-1972), marqué du seau de l’infamie en raison de ses accointances fascistes. Ce numéro ne sera jamais publié, mais m’a conduit à consacrer une étude à la réception en France de son œuvre. 1958, la date compte: c’est à la fois la libération du poète, condamné pour «haute trahison», enfermé et exposé aux regards de tous dans une cage de fer à Pise et la date de la première traduction française d’un choix de Cantos, son chef-d’œuvre.

Gilbert Trolliet, fondateur et directeur de revues romandes. Gilbert Trolliet (1907-1980), Vaudois d’origine et Genevois d’adoption, fut un poète prolifique (une trentaine de recueils) reconnu de son temps en Suisse romande et en France (Prix Guillaume Apollinaire 1957). Moins connu: son travail dans les revues littéraires. La publication récente au Mercure de France d’une anthologie inédite, Le Fleuve et l’Être (2021), permet de redécouvrir sa poésie et ses engagements intellectuels et cosmopolites, grâce notamment à une préface d’Alain Borer et une postface de Valère Novarina, ainsi qu’à un texte publié en 1969 dans les Actes de l’Institut national genevois: Autoscopie.

Relire Michel Deguy et Edouard Glissant. Michel Deguy est l’un des grands poètes contemporains. L’écriture de ce «Point du jour» m’a conduit à le relire pour interroger mon rapport aux actualités et à ce qui est au fond véritablement actuel derrière elles. «Un géocide est en cours. Ou plutôt, le géocide, si par hypothèse il ne peut y en avoir deux», écrit-il. Je lui cède la parole.

Magnitude

Il est plus clair qu’un jour de mars
Que la terre tectonique, la vieille réfractaire
Se rétracte et vomit notre cuisine nucléaire

À l’échelle des magnitudes
La pénultième a frappé
Une fois encore au Soleil levant

Non ! « Là où croît le danger »…
… Ne croît pas ce qui sauve
Mais la perte

Il faut changer
Éole en éolienne
Hélios en panneaux
Et le cœur qui sombre
En cœur de sauveteur nippon

(Michel Deguy, Écologiques, 2012)

Voici un autre grand poète dont les poèmes et les textes me guident et me soutiennent dans mes lectures du monde. La pensée de Édouard Glissant est profonde, riche, dense et créative. Poétique et philosophie de la relation, traité du Tout-Monde, créolisation, son œuvre est à mes yeux pleinement d’actualité. En voici un fragment.

Enfin les boues ont noué l’âme, l’ont emplie de solitudes;
Et terrent leurs herbes quand, levant de la mémoire ses jungles,
La route interroge, par ses pierres fracassées, par le vent!

(Edouard Glissant, Soleil de la conscience, 1956)

Ça pourrait vous étonner

L’art du sommeil et le Télescope intérieur. Le travail artistique de Virgile Novarina vous étonnera, j’en suis sûr. Aviez-vous déjà entendu parler d’un artiste du sommeil? Un travail et un film passionnant: Virgile Novarina est aussi réalisateur comme en témoigne le documentaire Télescope intérieur sur l’œuvre d’art éponyme qui restera dans l’histoire comme la première à avoir été réalisée dans l’espace. Imaginée par l’artiste américain Eduardo Kac, conçue pour l’état d’apesanteur et achevée à bord de la Station Spatiale Internationale par l’astronaute Thomas Pesquet.

La «panthéonade» de Rimbaud… Vous en avez certainement entendu parler. La France s’enflamme du débat entre les tenants et les opposants à la «panthéonisation» de Rimbaud et de Verlaine. De quelle actualité ce débat est-il révélateur? Emmanuel Macron a rejeté l’idée de faire entrer les deux poètes au Panthéon, en dépit d’une pétition publique en ce sens qui a reçu le soutien de la ministre de la culture, Roselyne Bachelot.

Jean-Chistophe Contini, bio express. Docteur ès lettres des universités de Genève (langue et littérature françaises modernes) et de Fribourg (travail social et politiques sociales), les recherches de Jean-Christophe Contini portent sur l’étude indiciaire d’archives personnelles (le dossier d’un numéro spécial inédit de Présence consacré à Ezra Pound en 1958) et d’écritures mineures (le cahier de bord institutionnel d’une équipe éducative). Il s’intéresse dès lors tout autant à l’étude de la fonction de l’écriture dans l’agir en travail social qu’à celle de la réception française d’Ezra Pound et du champ des revues littéraires romandes du XXe siècle. Ouvrages publiés: L’Identité indicible, le «savoir-faire en éducation spécialisée», Bâle, Schwabe, 2019; Éducation spécialisée: l’écriture de l’agir. La fabrication du quotidien, Paris, L’Harmattan, 2020.