Bonjour, c’est Père Najeeb à Mossoul, où je marche avec ma croix sur la poitrine dans des rues encore très dangereuses, mais avec un intense sentiment de liberté.

Je suis l’archevêque de ce territoire dévasté par Daech et très honoré d’être le rédacteur en chef de ce Point du jour. J’étais en début de semaine à Genève pour parler de liberté, justement.

photo journaliste

Père Najeeb à Mossoul, Irak
08.02.2020

Les infos qui comptent pour moi

Redessiner les cartes. Ce qui me frappe, c’est que le monde entier semble vouloir régler ses comptes chez nous. L’Iran rétablit son empire perse et chiite, la Turquie rétablit son empire ottoman, elle est en conflit permanent avec les autres, elle prépare des guerres. On va nous couper en petits morceaux, redessiner les cartes de géographie. C’est très dangereux.

L’épanouissement des citoyens. Le Kurdistan irakien est la seule région où règne la paix. C’est la seule région qui a accueilli des réfugiés de toutes les religions, chrétiens, musulmans ou yézidis, et de façon extraordinaire. La seule région où chacun peut exprimer sa foi en respectant les autres et sans être persécuté. La seule région où les dirigeants assurent l’épanouissement des citoyens.

Il vaut mieux être mort et enterré. Mais l’actualité la plus significative, pour moi, ce sont les manifestations de la place Tahrir à Bagdad contre l’injustice et la corruption, contre les mollah en politique, contre le premier ministre Mohammed Taoufiq Allaoui. Elles ont commencé en octobre, il y a déjà 600 morts. Nous sommes à un carrefour: soit on descend dans le chaos et la guerre civile, soit on se dirige enfin vers un pays de droit et de justice. Les manifestants sont de toutes les confessions, de toutes les ethnies. Nous prions pour que ce mouvement soit un succès. J’ai entendu un jeune manifestant dire: «il vaut mieux être mort et enterré et assurer l’avenir de ce peuple irakien plutôt que vivant dans une situation pareille». Cela m’a beaucoup ému.

Le Monde (FR)

Il est temps de raconter le monde

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📵 Razzia sur nos data. Nos données personnelles sont recueillies chaque jour par Facebook ou Google, mais aussi par des entreprises qui sont beaucoup plus proches de nous, comme Coop, Migros, la Poste ou les CFF. Que font ces sociétés de cette montagne d’informations? Où ces données sont-elles stockées? Jusqu’où peut aller cette curiosité pour nos comportements? Heidi.news a mené l’enquête.

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Dans mon radar

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L’église de Hamdaniya, au sud de Mossoul, en novembre 2016, après le passage de Daech. AP Photo/Maya Alleruzzo

Les hommes et les pierres. Je n’ai pas de radar, mais une grande attente: la paix et la sécurité dans mon diocèse de Mossoul et d’Aqra, qui couvre la plaine de Ninive. Ce que je veux, c’est reconstruire les hommes et les pierres en même temps. Les hommes par l’éducation, pour semer dès l’enfance les graines de l’ouverture à l’autre, de la complémentarité, de la fraternité. Et les pierres parce que les 14 églises et les 4 monastères de mon diocèse ont été pillés et parfois détruits par Daech. Je n’ai plus d’évêché, je dois habiter à 20 km de là, dans la plaine. Sans ces bâtiments, où vivaient de nombreuses familles, on ne peut pas avancer ni mener de projets.

La terre du prophète Jonas. Serge Michel m’a demandé des liens, pour partager mes lectures avec vous. Mais… je ne lis pas les journaux, il n’y en a plus chez nous, et je ne regarde pas la télévision. Je consulte des sites en arabe qui ne vous diraient rien et surtout, je suis informé en temps réel par des fidèles en Irak et dans tout le Moyen-Orient, des intellectuels, des citoyens éveillés. Et puis s’il faut une lecture, comme homme de Dieu, comme natif de Mossoul, la terre du prophète Jonas, le berceau du christianisme, je ne peux que vous recommander la Bible! Et surtout l’Évangile de St Jean. Parce qu’il tient un langage de terrain, c’est un homme pratique. Quand il dit qu’il faut se sacrifier pour l’autre, donner la priorité au prochain avant soi-même, c’est une proposition concrète pour vivre et semer la paix.

Les livres et les hommes. J’ai aussi écrit un livre aux éditions Grasset, Sauver les livres et les hommes. C’est mon récit du sauvetage, sous Daech, de milliers de manuscrits et parchemins araméens, arméniens, arabes, yézidis, mandéens. Abou Bakr al-Baghdadi, «le calife» de l’Etat islamique, voulait tout détruire et j’étais sur sa liste des mécréants à exécuter.

Editions Grasset (FR)
Mes raisons d’espérer

Le prix d’une balle de Kalachnikov. Le désespoir nous paralyse. Sans raison d’espérer, je ne serai pas là, je ne serais pas religieux, pas un homme de Dieu. C’est l’espoir qui nous donne le goût de vivre et nous pousse vers avant. Espérer, c’est allumer une petite lueur dans un monde de conflits où l’obscurité essaie de régner. Et pourtant, à Mossoul, ma vie ne vaut pas plus cher qu’une balle de Kalachnikov.

Mes raisons d’espérer

Victoires contre l’exil. Une autre raison d’espérer, c’est quand j’arrive à aider des familles à rester dignement chez elles, à trouver un travail agricole, une scolarité pour les enfants, créer un espace de paix plutôt que de les voir partir en exil. Cela me laisse joyeux malgré les tensions et les risques quotidiens. Il y a même des familles qui sont rentrées après 4 ans en France, voilà de l’espoir!

Dans mon atelier

Restauration de manuscrits. Une bonne raison d’espérer, ce sont nos racines. Il y a deux mois, dans un livre très ancien, je suis tombé sur la preuve qu’un de nos monastères du 6e siècle formait des missionnaires qui partaient évangéliser l’Inde et la Chine. Je travaille dans un petit atelier à restaurer, préserver, numériser des manuscrits. Chaque jour, je découvre des textes anciens qui méritent d’être publiés, en araméen, en arménien, en arabe ou en syriaque. Je lis ces langues, sauf l’arménien. Je parle aussi grec, latin et hébreux. Les manuscrits restaurés, je les publie souvent sur le site vHMML.

Manuscript Library (EN)

Un parchemin carolingien. Dans la reliure d’un incunable du 15e siècle, je suis tombé sur un petit morceau de parchemin carolingien du 9e siècle, en latin, que la BNF à Paris m’a aidé à déchiffrer. Il parlait de Moïse. J’ai une dizaine de collaborateurs. On vit avec des aides provisoires de l’ordre dominicain et aussi des bénédictins du Minnesota. On a aussi reçu, via l’Unesco, de l’aide de la Hongrie pour acheter du papier, des instruments pour tuer les mites, de quoi fabriquer des boîtes anti-acides. C’est pas seulement pour des textes chrétiens, mais aussi musulmans, yézidis, mandéens ou arméniens.

Pendant ce temps, sur Heidi.news

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Le psy en son Valais. 5e épisode de notre Exploration sur le fameux psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger. Se trouvant trop sérieux sur les photos prises jusqu’ici, il nous a proposé de nous montrer sa vigne. Nous en profitons pour chercher à en savoir plus sur sa vie privée, sa systémie à lui…

Heidi.news (FR)

Le premier cliché du télescope spatial suisse CHEOPS. Lancé en décembre 2019, le télescope spatial suisse CHEOPS, imaginé à l’Université de Berne pour le compte de l’Agence spatiale européenne (ESA), a livré sa première image. Celle-ci dépasse les attentes des scientifiques suisses.

Heidi.news (FR)

Les chiffres du Coronavirus pour garder la tête froide. Les informations s’amoncèlent concernant l’épidémie de nouveau coronavirus, et il n’est pas aisé d’y voir clair sur l’ampleur de la situation. En sept chiffres et quelques concepts, Heidi.news vous aide à brosser un tableau de la situation et à en saisir les enjeux. Pour garder la tête froide.

Heidi.news (FR)

La si délicate gouvernance du net. La gestion d’un système international aussi complexe qu’internet peut rapidement virer à la cacophonie. D’un pays à l’autre, les différences de protocoles, de législations et de politiques en termes de données et de censure rendent délicate l’idée de voir un jour un internet aux règles et pratiques harmonisées. Entretien avec Michel Kende, ancien économiste en chef de l’Internet Society qui revient pour nous sur ce sujet à l’occasion du kick off meeting du projet de média «Geneva Solutions», porté par la rédaction de Heidi.news.

Heidi.news (FR)

Ça pourrait vous étonner

Du sang sur les mains. Je croise tous les jours des anciens djihadistes de Daech. Je leur serre les mains, même si les leur sont pleines de sang. Je souris, on s’embrasse. Je sais que ce sont des criminels, j’essaie de les intimider par notre proximité et notre amitié.

Mes livres sur le trottoir. On m’avait indiqué un marchand de livres sur un trottoir de Mossoul. Je me suis habillé en civil. Il y avait une centaine d’ouvrages qui portaient le tampon de mon église dominicaine. L’un d’eux avait même mon nom. Je le montre au marchand et lui demande: «vous connaissez cet homme?» Il répond: «non, mais ce livre n’est pas à vendre, je cherche son propriétaire». J’ai rigolé comme pas possible: «C’est moi!» Il s’est mis à trembler, il a voulu me les offrir mais je lui ai fait un cadeau, deux fois le prix qu’il avait payé à Daech pour ce lot, parce qu’il avait préservé notre culture, il a fait le bien. Il s’est mis à pleurer.

Crise de foi. Il y a de jeunes musulmans qui viennent me dire qu’avec tout ce qu’ils ont vu et vécu, ils ont cessé de croire. Je leur dis tant mieux, il vaut mieux être athée que de croire dans un Dieu qui détruit. A Mossoul, le risque maintenant est au sein même de la communauté sunnite. Beaucoup ont accueilli Daech en 2014 avec des youyous et des bonbons.

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Michaeel Najeeb, figure engagée dans la défense du patrimoine culturel des chrétiens d’Orient.

Père Najeeb, bio exprès. Né il y a 64 ans à Mossoul, Michaeel Najeeb a d’abord été ingénieur pétrolier, spécialisé dans le forage, avant de devenir prêtre. En 2014, il suspend sa thèse de doctorat à Fribourg, en Suisse, sur les livres saints yézidis lorsque Daech conquiert sa région natale. Il rentre au pays. Au cours d’une incroyable épopée, il va sauver des centaines de manuscrits vieux de plusieurs siècles que les djihadistes ont juré de réduire en flamme, comme ils ont détruit Palmyre ou saccagé le tombeau de Jonas. Au péril de sa vie, ce dominicain nettoie, restaure et protège ces textes sacrés. Il est ordonné archevêque de Mossoul par le pape François en décembre 2018.

Paris Match (FR)

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