Bonjour, c’est Martina à Paris. Une année compliquée se termine aujourd’hui, entre l’assaut au Capitole, le coup d’État en Birmanie, les inondations en Allemagne, le retour au pouvoir des talibans, la crise migratoire biélorusse et encore, toujours le Covid.

Mais l’année que je vais vous raconter dans cette newsletter de Heidi.news, ce n’est pas ça. C’est douze mois de découvertes photographiques qui racontent le monde d’une autre façon. Décalé, parfois expérimental, le regard des photographes que je partage avec vous ce matin m’a surprise et émue tout au long de 2021.

photo journaliste

Martina Bacigalupo à Paris
31.12.2021

Mars et avril

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(c) Federico Estol

Je ne me rappelle plus comment j’ai découvert les «super-héros du brille» de Federico Estol, mais il m’a à la fois surprise et touchée. À travers une approche collaborative et un système de flash et miroirs, le photographe uruguayen transforme les cireurs de chaussures de La Paz, discriminés par leur métier et souvent considérés comme des bandits, en des héros qui font scintiller le monde grâce à leurs boules de lumière. Un peu comme les stars de Dragon Ball, qui sauvent le monde grâce à des ondes d’énergie, ces héros créent avec Federico un rite urbain fait de faisceaux lumineux et de boules magiques, où les outils deviennent des armes prodigieuses, les visages cachés se convertissent en silhouettes étincelantes et les chaussures se transforment en objets enchantés. C’est une photographie à la limite du documentaire, qui dénonce, fédère et offre un nouveau regard sur le monde.

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(c) Aurélie Scouarnec

Aurélie Scouarnec suit depuis deux ans les bénévoles de l’association Faune Alfort, premier centre de soin en France pour les espèces sauvages. Plus de 6000 animaux blessés, malades ou orphelins sont pris en charge chaque année. «Ils me parlent de responsabilité humaine, d’acte de réparation. Les animaux sont victimes de la pollution, de la réduction de la nourriture - les oiseaux ont de plus en plus de mal à trouver des insectes -, du réchauffement climatique, des accidents de voiture. Tout ça est en grande partie causé par les humains», raconte la photographe bretonne. C’est ce geste qui nourrit, rééduque, panse et nettoie, qu’Aurélie photographie. Dans cette image, la main de Céline guide un petit martinet noir, récupéré quelque mois plus tôt après une chute du nid, sous l’immense volière utilisée pour la rééducation. Après des mois d’exercices et d’observation de chaque mouvement du petit migrateur, de la qualité du vol à l’amplitude des ailes, Céline s’apprête enfin à le libérer. Alors que les espèces sauvages et leurs habitats disparaissent, les images d’Aurélie Scouarnec, à la lisière du documentaire et de la poésie, nous racontent la possibilité d’entrer en relation avec l’animal non domestique et de retisser nos liens avec le vivant.

Il est temps de raconter le monde

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📵 Razzia sur nos data. Nos données personnelles sont recueillies chaque jour par Facebook ou Google, mais aussi par des entreprises qui sont beaucoup plus proches de nous, comme Coop, Migros, la Poste ou les CFF. Que font ces sociétés de cette montagne d’informations? Où ces données sont-elles stockées? Jusqu’où peut aller cette curiosité pour nos comportements? Heidi.news a mené l’enquête.

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Janvier et février

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(c) Jon Henry

Aux États-Unis, un Noir risque trois fois plus de mourir de violences policières qu’un Blanc. En cherchant des images qui racontent les violences policières, je suis tombée sur la série du photographe new-yorkais Jon Henry, qui met en scène des images inspirées des pietà – peintures et sculptures représentant le Christ mort porté par sa mère éplorée. «Stranger fruit», dont le titre rend hommage à la chanson que Billie Holiday interprète en 1939 pour dénoncer les lynchages des Afro-Américains aux États-Unis, est une série étonnante qui nous raconte la douleur des mères et nous interpelle sur la mort des innocents. «Quand les manifestants rentrent chez eux, les caméras s’éteignent, les procès se terminent, il ne reste plus que les mères», se rappelle le photographe américain. Ses portraits nous poussent à ne pas les oublier. Et à nous battre à leurs côtés.

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(c) Phumzile Khanyile

Phumzile Khanyile est une jeune photographe sud-africaine. Après avoir été agressée par cinq hommes lors d’un reportage à Soweto, elle s’est enfermée dans la maison de sa grand-mère. À l’abri des regards, elle a développé «Plastic crown», un voyage à la (re)découverte de soi à travers l’autoportrait. Pendant deux ans, elle s’est mise en scène dans les habits de sa grand-mère, en questionnant les stéréotypes et la morale de la société qui l’entoure. C’est un travail provocant, honnête, qui affirme sa liberté d’être femme, comme elle l’entend.

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(c) Jorge Panchoaga

Septembre et octobre

«Kalabongó» en langue palenche signifie «luciole». Le photographe colombien Jorge Panchoaga raconte la mémoire de San Basilio de Palenque, un village du nord de son pays, fondé à la fin du 17e siècle par une bande de «cimarrones», des esclaves en fuite. Le premier village libre de l’Amérique coloniale. Ce qui me touche dans le travail de Jorge, c’est le côté physique de ses images. Chaque photo porte une histoire, comme une trace. Et ces histoires, issues de la tradition orale ou de documents historiques, racontent la mémoire d’un peuple. Cette image est le fruit d’un séjour de Jorge à San Basilio. Un jour, un jeune homme à l’étrange coiffure, formant comme un paysage vallonné, raconte qu’à l’époque de la colonisation, quand les esclaves fuyaient les Espagnols, les femmes tressaient ainsi leur chevelure pour y cacher des graines. Une astuce pour avoir de quoi commencer une nouvelle vie. Quand il termine son récit, un enfant s’étonne: «les gens de cette époque avaient des arbres qui leur poussaient sur la tête?» Jorge a l’idée de traduire en image l’observation de l’enfant pour raconter le passé colonial du village. Une narration autre, issue d’une méthodologie peu classique, remplie à la fois d’histoire et d’imagination.

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(c) Aleksey Myakishev

Septembre et octobre

Cette image fait partie du travail au long cours d’Aleksey Myakishev sur Vyatka, sa ville natale - aujourd’hui appelée Kirov, à 800 km au nord-est de Moscou. À travers une narration délicate de la vie quotidienne des gens et une écriture classique - argentique et en noir et blanc –, ce photographe autodidacte raconte l’âme profonde de la Russie. C’est un travail qui me touche profondément par sa simplicité et sa justesse.

Novembre et décembre

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(c) Rinda

Je me promenais parmi des centaines de livres – et des personnes! - à Paris Photo quand mon œil s’est arrêté je ne sais pas pourquoi sur une petite publication de Mack Books: «I saw the air fly», j’ai vu l’air voler. J’ai ouvert le livre pour découvrir une série d’images amateur en noir et blanc: des enfants qui jouent au foot, un petit qui pétrit le pain, un chat sur un mur, une fille qui pose devant la caméra, deux amies dans un champ, bouquet de fleurs à la main. Une sorte de tendresse et de joie m’a accompagnée le long des pages. Puis, à la fin, j’ai lu le texte. Il s’agissait d’images faites par des enfants réfugiés de la guerre en Syrie dans le sud-est de la Turquie. J’étais étonnée. Je n’avais vu ni douleur, ni trauma dans ces images. «Sirkhane Darkroom» est un projet porté par Serbest Salih, jeune photographe, lui-même réfugié syrien qui, depuis 2017, enseigne la photographie argentique aux enfants de cette région. Cette image est signée Rinda, dix ans. Elle a demandé à sa petite sœur de faire l’oiseau. Avec les autres enfants de Sirkhane, plutôt que répéter des scènes de souffrance, Rinda raconte le monde par son regard émerveillé, à travers un cadrage surprenant et sa fabuleuse fantaisie.

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(c) Carolina Agüero

Quand j’ai découvert, tout récemment, le travail de Carolina Agüero sur les violences faites aux femmes, j’ai été ébahie. En intervenant sur ses images à travers une ancienne pratique de couture, cette photographe chilienne se réapproprie ses racines autochtones tout en développant une approche visuelle personnelle. Ses portraits brodés nous font sentir physiquement la blessure des femmes, comme si leurs corps meurtris, d’un coup, nous appartenait aussi. «74 nœuds» est pour moi un exemple extraordinaire de ce que la photographie documentaire contemporaine peut donner, entre document, dénonciation et expérience multi-sensorielle.

Mai et juin

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(c) Seif Kousmate

Seif Kousmate est, avec Fabiola Ferrero, un des deux lauréats de l’édition 2021 du Prix 6 MOIS pour le photojournalisme. Avec «Waha», le photographe marocain raconte la disparition des oasis de son pays, dont les deux tiers ont été rayés de la carte à la suite des changements environnementaux de ces dernières décennies. En ajoutant sur les photographies des éléments organiques intimement liés aux espaces qu’il raconte – tel des dattes sèches, des peaux mortes de palmiers, de la terre, et en utilisant du feu pour raconter la dégradation à venir, Seif adopte un langage expérimental qui nous surprend et nous questionne.

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(c) Ishola Akpo

Ishola Akpo est une merveilleuse découverte. Ce photographe béninois explore la place des femmes africaines dans l’histoire. Cette image est issue d’ «Agbara women», une recherche autour de reines yoruba du Nigeria, du Bénin et du Ghana, tombées dans l’oubli malgré le rôle majeur qu’elles ont joué dans l’histoire de leurs pays. En cousant des portraits de femmes à la place des visages des rois sur des photos d’archives, Ishola créé une série étonnante de treize collages qui rend aux reines leur place et nous propose une autre version de l’Histoire. Un travail remarquable.

A propos de 6 Mois

6 MOIS est une revue de photojournalisme indépendante, sans publicité, qui sort deux fois par an. Dans ses 300 pages, des projets de long terme et des regards d’auteurs qui racontent le monde d’aujourd’hui. 6 MOIS est associé à la revue XXI, avec laquelle Heidi.news va partager et coproduire des grands reportages en 2022.

6 MOIS, tous les numéros (FR)
Pendant ce temps sur Heidi.news
Béton, ton univers impitoyable (devant la justice vaudoise)

Vous avez aimé les deux séries de Heidi.news sur la guerre du sable dans le Canton de Vaud? Vous allez adorer leur prolongation devant la justice. Deux seigneurs du béton se livrent depuis sept ans une guerre impitoyable pour des gisements de sable. La procédure qui oppose la vieille Holcim à la jeune Orllati était en septembre 2021 au tribunal d’arrondissement de Lausanne, qui décidera du vainqueur. Quant au théâtre des opérations, il s’agit de la parcelle 524 à Ballens, porteuse d’un revenu potentiel de 400 millions de francs.

Heidi.news (FR)

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