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Bonjour c’est Alain à Genève, où l’ONG que je dirige, Civitas Maxima, s’apprête à passer la vitesse supérieure à l’heure où la justice internationale est plus que jamais menacée.

Notre mission est de porter des responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité devant les tribunaux.

L’actualité de la semaine, pour la justice internationale, ce sont les auditions sur Joseph Kony à la Cour pénale internationale (CPI) de la Haye. Même si cela fait 30 ans que ce prophète sanguinaire, responsable de la mort de plus de 100’000 personnes, est introuvable.

Nous avons d’autres méthodes qui, malgré des moyens hélas bien inférieurs à ceux de la CPI, font leurs preuves. Comme la condamnation du Libérien «Général K-1» avant-hier aux Etats-Unis. Ces méthodes, c’est le sujet de l’Exploration pour Heidi.news qui démarre ce matin, issue en grande partie de notre rapport annuel, en anglais.

photo journaliste

Alain Werner à Genève
13.09.2025

La justice et l'humilité

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Les restes humains du massacre de Kpolokpai en 1994 au Liberia, photographiés ici 15 ans plus tard (AP Photo/Jonathan Paye-Layleh


Un jour de 1993, dans un village reculé,
situé à plus de 12 heures de voiture de Monrovia, la capitale du Liberia, une femme qu’on appellera Musu venait de perdre son enfant malade, âgé de quelques jours à peine. Elle-même était malade et ce n’était pas le premier enfant qu’elle perdait dans un pays alors en proie à une guerre civile d’une brutalité inouïe, avec un accès aux soins médicaux quasi inexistant dans les provinces.

Le bébé fut enterré et un commandant du groupe rebelle qui contrôlait alors la région vint pour sympathiser avec la famille, donnant un peu d’argent, 100 dollars libériens (un demi-dollar américain), avant de quitter le village.

Accusations de sorcellerie

Mais peu après son départ, le commandant changea soudainement d’avis. Il rebroussa chemin, donna l’ordre à ses gardes du corps de traîner la mère en deuil hors de sa maison et l’abattit à bout portant d’une rafale d’arme automatique dans la tête, l’accusant d’être une sorcière. Il prit ensuite des feuilles de bananier du toit de la maison pour recouvrir le cadavre et y mit le feu.

Les centaines de milliers de victimes des deux guerres civiles libériennes (1989-1996 et 1999-2003) ont été complètement abandonnées par leur propre gouvernement et par une communauté internationale incapable de faire en sorte – jusqu’à ce jour – que justice soit rendue au Liberia pour l’immense terreur infligée à la population civile sur plus de 10 ans. Le meurtre inutile et ignoble de Musu allait donc rester impuni, comme l’immense majorité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans le monde.

Mais la réalité de la justice internationale offre aujourd’hui de nouvelles perspectives.

Le meurtre de Musu jugé à Paris

Pour les victimes, les voies légales sont infiniment plus nombreuses de nos jours, dans les années 2020, qu’à la fin du siècle passé. Aujourd’hui, sous certaines conditions, elles peuvent demander justice dans des pays tiers, sans avoir à en passer par les tribunaux internationaux qui, bien souvent, ne font rien pour elles. Ce faisant, elles montrent la voie à d’innombrables autres victimes, dans d’autres contextes.

C’est exactement ce que le mari et le frère de Musu ont fait, avec courage et détermination, pendant plusieurs années, dans une quête de justice que je vais vous décrire en détail dans cette Exploration de Heidi.news. Elle est issue, traduite et éditée du rapport annuel en anglais de l’ONG que je dirige, Civitas Maxima.

Un espoir considérable

Avec notre aide et celle de nos collègues libériens du Global Justice and Research Project, la famille de Musu a déposé une plainte pénale à Paris contre le commandant rebelle accusé de l’avoir abattue, ouvrant ainsi la voie à son arrestation et à son procès. Et le 27 mars 2024, après trois semaines d’audience, la cour d’Assises de Paris a confirmé en appel la condamnation de Kunti Kamara pour des crimes commis contre la population civile du comté de Lofa, y compris le meurtre de Musu.

Kunti Kamara n’était pas français. Il n’avait rien fait de mal en France, ni contre des citoyens français. Mais il était accusé de crimes internationaux et vivait en France depuis deux ans au moment de son arrestation. Comme l’a dit une procureure française dans ses plaidoiries, la justice française ne l’a pas jugé à Paris «à la place» de la justice libérienne, mais «en l’absence» de justice dans ce pays. Cette dynamique est porteuse d’un espoir considérable. Elle permet de démultiplier les chances pour les victimes d’obtenir justice, de consolider et de développer de façon décentralisée, au niveau national, les normes qui nous protègent tous contre les crimes les plus graves.

Parmi les personnes aujourd’hui accusées des crimes les plus graves devant des juges européens se trouvent aussi des ressortissants européens. En 2024, Manuel Terrén, un homme d’affaires espagnol qui vivait au Brésil, a été appréhendé en Espagne pour sa participation alléguée au commerce de diamants du sang en Afrique. Il s’agit de la première fois dans l’histoire légale espagnole qu’un ressortissant de ce pays est visé par une enquête pour des crimes internationaux.

Budget modeste, résultats probants

Depuis treize ans, sans avoir reçu ni sollicité aucun financement étatique, nous accompagnons ces quêtes de justice courageuses et novatrices en utilisant une variété d’outils juridiques. Cela a contribué d’une manière ou d’une autre à treize arrestations ou actes d’accusation et six procès dans quatre pays sur deux continents, dont cinq condamnations. Tout cela avec un budget total de moins de 15 millions de dollars en 13 ans, alors que le budget de la fameuse Cour pénale internationale (CPI) à La Haye dépassait les 200 millions de dollars pour la seule année 2024. En 23 ans, la CPI n’a pu condamner que huit personnes pour des crimes de guerre et/ou des crimes contre l’humanité.

Cette année 2024 nous a également rappelé la complexité de notre travail, qui consiste à contribuer à des accusations de crimes internationaux contre des individus – des accusations qui portent un lourd stigma – pour des actes qui remontent parfois à des décennies et se sont déroulés dans des circonstances traumatiques pour ceux qui les ont vécus.

Le contrecoup finlandais

L’une des affaires dans lesquelles nous avions été impliqués a débouché en janvier 2024 sur la confirmation par une cour d’appel en Finlande de l’acquittement de Gibril Massaquoi, un ancien commandant qui était accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Liberia entre 1999 et 2003, notamment des homicides, des violences sexuelles ainsi que le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats. Nous avions fourni les premières allégations à la justice finlandaise contre Gibril Massaquoi, mais celle-ci l’a acquitté de tous les chefs d’accusation en estimant que les preuves n’étaient pas suffisantes.

Depuis, ce dernier a reçu près de 400’000 euros de dédommagement alors que de notre côté, nous avons été la cible d’une violente campagne diffamatoire contre Civitas Maxima et ses partenaires, que je vous raconterai dans un des épisodes de cette série.

Cependant, ces quêtes de justice menées indépendamment par des victimes devant des tribunaux nationaux sont un mouvement mondial en pleine croissance, que rien ne freinera. Ce mouvement est, à n’en pas douter, notre meilleur espoir pour faire en sorte que ces crimes de masse ne soient pas le quotidien des prochaines générations. Merci à tous ceux qui le soutiennent, et bonne lecture.

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Des membres du groupe rebelle Lurd, en patrouille dans le nord du Liberia, en septembre 2002. Le Lurd, qui a sévi pendant la deuxième guerre civile libérienne, s’est formé à partir de deux anciennes factions de l’Ulimo, dont il est l’héritier. | Keystone / EPA / Issouf Sanogo

Kunti Kamara ou l’incroyable victoire de victimes oubliées sur leur bourreau. La condamnation confirmée à Paris en 2024 d’un ancien commandant rebelle du Liberia est bien davantage qu’une simple affaire judiciaire. C’est la preuve que des victimes jamais entendues par leur pays et les instances internationales peuvent mener leur propre quête de justice, en dehors des sentiers battus, avec l’aide d’ONG comme Civitas Maxima.

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Le Pitch de la semaine

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Pitch Comment pour Heidi.news

La pusillanimité de Trump commence à se voir. La paix par la force? Le nouveau mantra américain en matière de relations internationales commence à avoir des allures de bêlement sans substance, alors que Washington vient de prendre deux rudes camouflets coup sur coup. De la part de la Russie qui, pour mieux torpiller les négociations de paix réclamées par Trump, innove dans ses crimes de guerre: en ciblant dimanche le siège du gouvernement ukrainien avec un missile Iskander (d’interception délicate) avant de lancer 458 drones et missiles dans la nuit de mardi à mercredi, dont quelques-uns en Pologne pour faire bonne mesure.

De la part d’Israël, aussi, qui prend de plus en plus ses aises vis-à-vis de l’allié américain. Au point d’avoir bombardé mardi des cadres du Hamas réfugiés au Qatar, proche allié de Washington, au cours d’un raid aérien qui a percé les défenses aériennes de Doha (censées être au standard OTAN) avec une facilité ahurissante. Personne n’imagine que les Etats-Unis, dont la base de commandement aérien pour le Moyen-Orient se trouve à quelques kilomètres de là, n’étaient pas au courant. Mais la Maison-Blanche indique n’avoir été prévenue qu’au tout dernier moment…

Pendant ce temps, Donald Trump pousse des petites balles dans des petits trous à Mar-a-Lago…

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Un mariage célébré en juin 2022 dans le quartier de Siwan, à Jérusalem-Est, par une famille dont la maison venait d’être détruite par les autorités, avec la collaboration de Elad. (AP Photo/Mahmoud Illean)

Une fondation suisse d’intérêt public peut-elle financer la colonisation israélienne? La fondation zurichoise Rosengarten, liée à un label de musiciens célèbres, a soutenu à hauteur de centaines de milliers de francs l’organisation israélienne Elad, qui expulse des familles palestiniennes à Jerusalem-Est. Est-ce conforme au droit? Un conseiller national vient de poser la question au Conseil fédéral. Les musiciens, eux, semblent embarrassés.

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Il est temps de raconter le monde

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(Beaucoup) de bonnes lectures pour le week-end

L’extrême droite européenne récupère tranquillement le meurtre de Charlie Kirk. On assiste sans doute, avec le meurtre de l’influenceur MAGA (le coupable a été identifié et arrêté, notamment grâce à sa famille), à ce qu’on appelle un déplacement de la fenêtre d’Overton – c’est-à-dire des idées considérées comme acceptables par l’opinion. Sa mort, à travers un processus de deuil collectif, rend plus acceptables les opinions pourtant radicales qu’il défendait. L’extrême droite en Europe a bien senti qu’elle avait là une opportunité unique de faire pencher l’opinion un peu plus dans son sens. D’où l’outrance publique de réclamer une minute de silence pour Charlie Kirk au Parlement européen, alors que ses idées étaient inacceptables pour la plupart des députés. Un sociologue va-t-il explorer les mécanismes qui, dans cette affaire, permettent un déplacement de cette fenêtre – exploitation de l’émotion du deuil, censure et autocensure, intensification des violences verbales, etc.?

HuffPost (FR)

La victoire des étudiants népalais. Au cours de manifestations, dont la répression a fait 51 morts, la jeunesse népalaise, largement privée d’emploi et lassée de la corruption, réclamait le départ des élites. Elle a porté au pouvoir l’ancienne cheffe de la Cour suprême du Népal, Sushila Karfi, 73 ans, connue pour être une croisée de la lutte contre la corruption.

Indian Express (EN)

«Grande muraille» virtuelle: la Chine vend un kit de censure aux pays autoritaires. De la junte birmane aux autorités pakistanaises, les régimes autoritaires s’arrachent en secret les services de l’entreprise chinoise Geedge Networks, révèle une enquête portée par un consortium de médias et d’ONG.

Usbek & Rica (FR)

Poutine et la nouvelle doctrine de «l’homme russe». Sergueï Karaganov est l’un des seuls auteurs vivants que Vladimir Poutine affirme lire. Il vient de publier un rapport de 50 pages qui veut jeter les bases d’une refondation: le «Code de l’homme russe». Pour comprendre son projet radical, Le Grand Continent en présente la première traduction intégrale, introduite et commentée par la chercheuse Marina Simakova.

Le Grand Continent (FR)

Epstein et JP Morgan, une histoire d’amour. Cette enquête montre à quel point Jeffrey Epstein était cul et chemise avec la plus grande banque du monde, ami intime d’un de ses cadres dirigeants, à la fois client privilégié et rabatteur occasionnel de grandes fortunes, payé des millions à cet effet. C’est pourquoi les innombrables transferts et retraits de cash de l’homme, au centre d’un vaste réseau d’exploitation sexuelle de jeunes femmes et adolescentes, ont passé sans encombre tous les contrôles et les alertes internes, jusqu’à la fermeture de ses nombreux comptes en 2013. Plongée dans un monde aussi laid que riche.

New York Times (EN)

Les crimes de Joseph Kony passés au crible de la CPI. Sous le coup de 39 chefs d’accusation, l’insaisissable fugitif, chef de la sinistre Armée de résistance du Seigneur, ne peut être jugé en son absence. Or, sans condamnation, ses victimes ne pourront pas obtenir de réparations.

Le Monde (abonnés) (FR)

Bio exprès. Je suis avocat, formé à l’Université de Genève et à Columbia. A 30 ans, j’ai eu la chance de travailler pour le bureau du procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone qui allait, en 2012, condamner Charles Taylor à 50 ans de prison. J’ai également défendu les victimes du tortionnaire khmer rouge cambodgien Duch et les victimes tchadiennes de Hissène Habré, avec le fameux Reed Brody de Human Rights Watch. En 2012, j’ai fondé Civitas Maxima, à Genève, pour lutter au côté des victimes contre l’impunité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les résultats obtenus, une contribution à treize arrestations ou actes d’accusation et six procès dans quatre pays, dont cinq condamnations, sont dus à l’extraordinaire efficacité de ma petite équipe et à de fantastiques donateurs. En 2019, j’ai reçu le Prix Bâtonnier Michel Halpérin pour l’Excellence de l’Ordre des Avocats de Genève et l’année suivante, je suis devenu fellow à vie d’Ashoka, le plus ancien et le plus grand réseau mondial d’entrepreneurs sociaux.

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