Bonjour, c’est Serge à Tbilissi, capitale géorgienne où la pression ne cesse de monter. Demain dimanche est en principe le dernier jour du mandat de la présidente pro-européenne.
Sauf qu’elle refuse de quitter son poste, affirmant que son successeur a été choisi par un parlement pro-russe issu d’élections truquées. Sera-t-elle arrêtée ou protégée par la foule?
Dans la rue, le mouvement civique ne faiblit pas depuis deux mois, malgré des centaines d’arrestations, des cas de torture et de manifestants violemment battus par les forces de l’ordre.
Quant à l’homme fort du pays, le milliardaire Bidzina Ivanichvili (oui, l’homme qui réclame plus d’un milliard à Credit Suisse), il est depuis hier soir sous sanctions américaines.
Bref, je ne pensais pas passer mes vacances de Noël dans une cocotte-minute… |
Un lionceau dans une Porsche, un judoka médaillé mais couvert d’insultes
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Capture d’écran Instagram
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D’habitude,
Lasha Bekauri publie sur son compte Instagram des images de ses combats de judo, de ses médailles d’or, de son physique avantageux ou de sa Porsche 911. D’habitude, il reçoit des cœurs, des likes et des applaudissements de ses 350’000 followers. Or depuis quelques jours, même les mères de famille se sont mises à l’insulter.
Mardi soir 24 décembre, il a publié une courte vidéo. On le voit au volant de sa Porsche, dans les rues de Tbilissi, à l’heure des manifestations. Sur fond de rap, il joue avec un jeune lion sur le siège passager, qui le mordille.
Extraits des commentaires:
- «Un lionceau dans ta voiture alors que les Géorgiens sont terrorisés, torturés, battus, détruits?»
- «Tu me fais honte! Quel mépris, quelle arrogance!»
- «Tu sais bien que c’est illégal d’importer un animal pareil, as-tu au moins réfléchi avant de crâner avec ton argent et ton impunité?»
- «Ces images sont-elles ta réponse à l’effusion de sang et à la répression en cours?»
Lasha Bekauri, 24 ans, triple champion du monde, double médaille d’or des poids moyens aux JO de Paris et de Tokyo, soutient ouvertement le parti au pouvoir, Rêve Géorgien, vainqueur des élections controversées du 26 octobre. Foin de gloire olympique, le voilà ennemi du peuple.
Cauchemar tchétchène
Dans un autre post, deux jours plus tôt, le judoka se montrait bras dessus, bras dessous avec Khamzat Chimaev, lutteur de MMA que le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, considère comme un de ses propres fils.
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Au centre, Lasha Bekauri (à gauche) et Khamzat Chimaev. Capture d’écran Instagram.
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Cette photo
de camarades enjoués à la table d’un restaurant a fait courir l’effroi sur l’échine de nombreux Géorgiens. Pointent alors leurs pires cauchemars. L’ombre d’un tyran tchétchène à la solde de Moscou qui plane sur leur fière démocratie, issue de l’Indépendance en 1991 et de la Révolution des Roses de 2003. Un parti au pouvoir qui maintenait une fiction européenne mais gèle, le 28 novembre, le processus d’adhésion à l’Union alors qu’il est inscrit dans la Constitution et ardemment souhaité par l’immense majorité de la population. Un gouvernement qui impose un copié-collé de la loi russe sur les «agents étrangers». Une caste dirigeante qui affiche désormais sans complexe son autoritarisme et sonne la charge policière contre des manifestants pacifiques.
Les uns parlent d’un coup d’Etat au ralenti, les autres simplement de «sportwashing», ce procédé consistant, pour un gouvernement, à mettre en avant des sportifs de haut niveau pour masquer ses pratiques antidémocratiques. Outre le judoka Lasha Bekauri, le maire de Tbilissi, Kakha Kaladze, connu pour la brutalité de ses propos, est un ancien footballeur. Tout comme Mikheïl Kavelashvili, politicien d’extrême droite, farouche partisan de la Russie, ayant évolué au Grasshopper de Zurich et à Manchester City. Demain, cet homme sans diplôme est censé remplacer la raffinée présidente pro-européenne et d’origine française, Salomé Zourabishvili. Hier soir encore, elle déclarait:
«Cette élection [de Kavelashvili] et par conséquent [son] investiture ne sont pas valides, je reste donc présidente et je continue à faire mon travail – c’est ce que tout le monde doit savoir. Les détails seront connus dimanche.»
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La présidente Salomé Zourabishvili a rejoint les manifestants dans la rue, le 14 décembre, et a été acclamée. | EPA/DAVID MDZINARISHVILI
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Le bras de fer est haletant.
Son issue dépendra de la détermination des manifestants, du degré de brutalité des forces de l’ordre, de la mobilisation occidentale et de la fragile économie géorgienne. Avec ses deux principales banques cotées à la Bourse de Londres et sa grande dépendance aux soutiens financiers occidentaux, qui ont commencé à se tarir, elle sera cruellement exposée en cas de sanctions, lesquelles ne visent pour l’instant que des individus. Y compris le plus riche d’entre eux, Bidzina Ivanichvili, depuis hier, de la part du Département d’Etat américain. Le milliardaire, qui a fait fortune en Russie, n’occupe plus de fonction officielle mais tire les ficelles du pouvoir depuis une décennie.
L’histoire de la Géorgie est celle d’une survie difficile, au carrefour de trois empires. Longtemps ravagée par les invasions perses et ottomanes, elle a voulu y échapper à la fin du 18e siècle en cherchant la protection de l’empire russe, lequel a tôt fait semblant de confondre protectorat et annexion. La révolution bolchévique lui donne l’occasion d’une brève indépendance, de 1918 à 1921. L’écroulement de l’Union soviétique renouvelle l’opportunité, en 1991.
Mais la Russie est à nouveau conquérante et occupe 20% du territoire géorgien. Ses chars sont à deux heures de Tbilissi. Pour y échapper comme jadis aux Turcs et aux Iraniens, les Géorgiens implorent la protection euro-atlantique. Mais l’Occident, on le sait, peine déjà à soutenir l’Ukraine. La Géorgie offre ainsi, ces jours, un cruel résumé des rapports de force géopolitiques au 21e siècle.
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Alain Berset, nouveau secrétaire général du Conseil de l’Europe, à Tbilissi le 18 décembre avec le premier ministre Irakli Kobakhidze (Georgian Prime Minister Press Office via AP)
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Pendant ce temps, sur Heidi.news
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La famille d’Enayatollah, jeune marié de Kandahar, au repas des hommes, en 2002. Photo: Paolo Woods
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Une nuit de noces et un cours d’éducation sexuelle express.
Notre tour complet d’Afghanistan en 2002, dont est issu le film Riverboom de Claude Baechtold, entame là son dernier quart. Dans l’ancienne capitale des talibans, bouleversée par l’occupation américaine, les alliances se recomposent. Surtout par des mariages, meilleur ciment entre bonnes familles. Autant dire que d’amour, il n’est pas question. Totalement ignorant du corps féminin, un futur marié se retrouve en classe d’éducation sexuelle, section néophytes.
Afghanistan année zéro, 8e épisode
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Dessin: Delphine Presles pour Heidi.news
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Portrait non daté de Marie Bonaparte. | Wikimedia Commons / Library of Congress / Bain News Service
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Il est temps de raconter le monde
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De bonnes lectures pour le week-end
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Le dernier rapport de Human Rights Watch sur la Géorgie. La police et d’autres forces de sécurité ont fait preuve d’une violence brutale à l’encontre de manifestants en grande partie pacifiques à Tbilissi. Les forces de sécurité ont pourchassé, violemment détenu et battu des manifestants. La police les a également torturés et maltraités dans les fourgons et les postes de police. HRW s’est entretenu avec une douzaine de survivants de violences policières qui ont déclaré avoir subi des traumatismes crâniens: commotions cérébrales et fractures multiples au niveau du nez, des os du visage, des côtes et des membres, ainsi que des égratignures et des ecchymoses sur tout le corps. Les policiers portaient des tenues anti-émeutes ou des masques noirs intégraux, sans aucun signe distinctif.
HRW (EN)
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La Géorgie entre espoir d’Europe et influence russe. La population géorgienne a multiplié les manifestations pro-européennes ces derniers mois. Dans ce pays partiellement occupé après l’intervention russe d’août 2008 en Ossétie du Sud et en Abkhazie, quelle est l’influence russe sur le pouvoir? Et quelles sont les attentes de la population, alors que l’Union européenne a accepté la candidature du pays à l’UE? Un entretien (août 2024) avec Thorniké Gordadzé, chercheur en relations internationales, enseignant à Sciences Po Paris, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors.
Grand Continent (FR)
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The Streets of My Country Are Full of Fury. «J’étais enfant lors de la brève guerre entre la Géorgie et la Russie en 2008, écrit la réalisatrice Anna Japaridze dans cet essai. Je me souviens avoir vu des bâtiments calcinés à Gori, dans l’est du pays, et des chars d’assaut sur la route militaire qui permet d’entrer en Géorgie depuis la Russie. Les gens de ma génération ont grandi dans la crainte d’une nouvelle guerre. Rêve Géorgien, le parti au pouvoir, a capitalisé sur cette peur, se présentant comme une plateforme de paix tout en semblant suivre le manuel du Kremlin. Après les élections d’octobre sur fond d’allégations de fraude électorale et après des mois de protestations infructueuses, le nihilisme et la fatigue se sont installés. Nous avions l’impression de devenir un État vassal de la Russie.»
The New York Times (EN)
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Mais aussi… Tbilissi, la nouvelle capitale européenne en vogue. Ces dix dernières années, la capitale de la Géorgie s’est imposée comme une destination d’escapade parfaite. La ville est devenue l’une des villes les plus cool d’Europe grâce à son mélange haut en couleur et tout à fait unique de cuisine, d’art et d’architecture. Ce n’est pas pour rien qu’on la surnomme le nouveau Berlin.
L'Echo (Belgique) (FR)
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Simon Ier (1537-1611), fils de Louarsab, proclamé roi de Karthli
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Un bonus (pour les passionnés).
Je me suis pris à rire (mais je n’aurais pas dû) en essayant de suivre les péripéties tragiques de la Géorgie au Moyen Age. L’encyclopédie Wikipedia n’est jamais parfaite, mais ce passage est étonnamment détaillé… Vous y découvrirez l’invasion et le massacre des Khorazmiens, la bravoure de la reine Roussoudan, les ravages des Houlagides, la trahison de Bougha, dont la famille est exécutée, le Duc de Chorapan et l’arrivée de Tamerlan, la tribu du Mouton Noir de Kara Youssouf, le Dadian Mamia II de Mingrélie, le Duc Ioané III de Meschie et le Connétable d’Abkhazie, le règne désastreux de Bagrat VI et celui de 20 ans de David X de Karthli, la coalition anti-ottomane après la bataille de Kiziki, la mort tragique du roi Louarsab, les tentatives d’indépendance de la Kakhétie, la vengeance du shah persan Abbas le Grand, comment 15’000 Géorgiens ont dominé 30’000 Persans à la bataille de Martkopi, la lutte sans merci entre Teimouraz 1er et Georges Saakadzé. Bien d’autres choses encore, accrochez-vous!
Wikipedia (FR)
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Avenue du Bouchet 2
1209 Genève
Suisse
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