Bonjour, c’est Michel à Genève, où j’apporte un peu d’épouvante au Salon du Livre en ville. En particulier au «Living-room» du chemin de la Mousse, où des éditeurs genevois organisent malgré tout débats et rencontres. C’est aussi l’adresse de le rédaction de Heidi.news…
La peur est mon sujet. En version gothique avec Dracula, l’archétype du vampire, ou la créature cadavérique fabriquée à Genève par Frankenstein. Mais ce matin, je vous parle aussi de Tintin, de Mussolini et de mon fils Arsène âgé de 10 ans, pris dans la nasse de la pandémie. |
Les infos qui comptent pour moi
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L’enfance marquée au sceau de la pandémie.
L’actualité, c’est évidemment le retour pandémique après avoir dansé tout l’été au bord du volcan. Ce qui compte pour moi, ce sont les enfants. Mon fils Arsène a 10 ans. Une grande partie de sa vie sera marquée par la distanciation sociale, la prudence dans les magasins, les préaux d’école fermés, le fait que les parents ne puissent plus aller dans les classes parler aux enseignants, la méfiance partout, le masque, le gel, les jeux qui ont changé, le foot qui s’est arrêté, etc.
Je suis très frappé par cette sorte d’anthropologie de la prudence qui est en train de normer l’enfance, et qui va la transformer. Nous, les adultes, avons vu beaucoup de choses. Nous avons du recul face au mal. Les enfants, eux, seront sensiblement marqués par les souvenirs de la vulnérabilité. Dans leur imaginaire, les personnages masqués sont des superhéros : Zorro, Batman, le Fantôme du Bengale. Essayons de leur dire qu’en vivant avec le masque, nous sommes tous des superhéros du quotidien!
Que doivent faire les intellectuels? Travailler, réfléchir, écrire, mettre des mots sur cet effritement très lent de la sociabilité dans une démocratie jusque-là insouciante et consumériste, où tout allait de soi. J’ai commencé à publier sur le site des Rencontres internationales de Genève des capsules vidéos d’intellectuels qui pensent notre actuelle fragilité, comme l’écrivain et éditeur québécois Benoît Mélançon.
Benoît Melançon, un intellectuel en temps de pandémie (FR)
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Il est temps de raconter le monde
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Cette fin de semaine,
je participe à des débats et projections de films au «Living-room». Les éditions Zoé, Georg, La Baconnière, Labor et Fides, la Couleur des Jours et d’autres ont préparé un programme remarquable de trois jours avec des stars cathodiques comme Raphaël Enthoven ou des monstres mélancoliques comme moi.
Living-room à Chêne-Bourg (FR)
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Incisif comme les dents du vampire!
Pour ma table ronde samedi à 19h30, avec deux complices, Vincent Fontana et Alain Morvan, on va réfléchir aux ingrédients imaginaires et factuels du gothique, ce tissu de représentations de la peur de l’individu face aux ténèbres, à la mort, aux revenants, à l’immortalité. Mon tout premier livre s’intitulait déjà La Peur au XVIIIe siècle… On s’appuiera sur des films et des classiques du XIXe siècle, notamment le Frankenstein (1818) de Mary Shelley ou le Dracula (1897) de Bram Stoker. Un débat incisif comme les dents du vampire! En décembre, je publie d’ailleurs aux éditions Georg avec Olinda Testori Frankenstein, le démiurge des Lumières: un patchwork sur l’effroi cadavérique autour du monstre ostracisé par sa difformité.
Salon du Livre, rendez-vous avec la peur (FR)
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Nosferatu (1922)
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Les chef d’œuvre de la peur.
A côté de mon métier d’historien, cela fait un moment que j’essaie de travailler sur d’autres formes culturelles que prennent les imaginaires sociaux, le cinéma en particulier, la bande dessinée aussi. Je suis fasciné par les films de série B, notamment Them, de Gordon Douglas (1954) qui raconte l’histoire d’une communauté américaine assaillie par des fourmis mutantes et géantes. Dans les années 50, ce genre filmique reflète aux États-Unis une peur sociale réelle qui n’est pas celle de la pandémie d’aujourd’hui, mais celle de la bombe atomique ainsi que le fantasme incroyable d’une invasion soviétique imminente. On va s’amuser un peu avec les frayeurs d’Hollywood !
Autre chef d’œuvre de la peur, Peeping Tom de Michael Powell (1960). Le cinéaste filme un psychopathe qui veut filmer la peur de ses victimes au moment où il les transperce avec le pied de sa caméra. Le cinéma a-t-il le droit de montrer l’instant intime de l’effroi final? Si oui, c’est qu’il y a une très forte attente sociale de voyeurisme. On discutera aussi de Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau (1922), prototype expressionniste du film vampirique sur fond d’invasion de rats pestiférés et dans le contexte de la montée des périls dans l’Allemagne de Weimar.
Nosferatu le vampire (samedi 31 octobre) (FR)
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Manifestations de joie au Chili, le 25 octobre. (AP Photo/Luis Hidalgo)
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La démocratie n’a pas dit son dernier mot.
Comme historien, il est impossible d’espérer un monde définitivement meilleur. Nous ne savons pas d’où frappera le mal. Mais on peut se réjouir… Comme de cette très bonne nouvelle: le Chili a tourné la page constitutionnelle de la dictature militaire et néolibérale de Pinochet. On voit que même dans des moments très durs, la démocratie n’a pas dit son dernier mot. Peut-être qu’elle connaîtra un sursaut ailleurs, comme aux États-Unis mardi prochain.
France Inter (FR)
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Dans mon labo d'historien
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Tintin relu.
Je termine un essai pour mon fils. Cela s’appelle Tintin, voilà des années que je lis tes aventures. J’essaie de montrer comment, en relisant Hergé de façon transversale autour de trois thématiques, le pacifisme, la lecture et le bruit, on peut donner un sens culturel très profond à cette œuvre démocratique.
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Du lourd, du savant!
Autre chantier, je termine aussi un gros travail sur les expertises médico-légales aux XVIIIe et XIXe siècles. Ce ne sera pas forcément grand public, plutôt universitaire et savant, mais cela prolonge un livre d’histoire sociale que j’ai publié l’an dernier chez Georg, Le Sang des Lilas, sur un fait divers épouvantable à Genève à la fin du XIXe siècle, et qui avait mobilisé l’ensemble des savoirs médicaux-légaux et psychiatriques de l’époque.
La vie des idées (FR)
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Pessimisme chrétien.
Pour les éditions La Baconnière, je prépare la réédition de l’oublié roman Le Nouvel Adam (1924) de l’écrivaine genevoise Noëlle Roger, pionnière de la science-fiction et des récits conjecturels. En chrétienne pessimiste, elle reconsidère le mythe prométhéen de Frankenstein.
Wikipedia (Noëlle Roger) (FR)
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Chantier à peine ouvert.
J’ai un autre projet, mais il est un peu tôt pour le détailler, c’est un chantier à peine ouvert. Je pense rédiger une histoire culturelle des créatures de la nuit, autour des trois principales figures de l’effroi: le loup-garou, le vampire, la sorcière.
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Pendant ce temps sur Heidi.news
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Eclairer mon cœur.
Ce qui m’étonne, c’est que vous m’ayez appelé [pour faire cette newsletter]. Cela m’étonne aussi de rester debout et vivant dans la beauté de la vie. Ce qui m’étonne surtout c’est la lumière vive de mon fils Arsène qui m’assigne depuis 2009 dans l’éthique de l’amour. À lui ce vers de l’immense René Char: «Au moment où tu m’apparus, mon cœur eut tout le ciel pour l’éclairer».
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Michel Porret, bio expresse.
Historien, professeur émérite d’histoire moderne à l’Université de Genève, président des Rencontres internationales de Genève, animateur de l’équipe Damoclès, rédacteur de Beccaria (Revue d’histoire du droit de punir), directeur des collections L’Équinoxe et Achevé d’imprimer (Georg), collaborateur à En attendant Nadeau, auteur de plus de 300 publications, Michel Porret pratique l’histoire intellectuelle, sociale et culturelle (Lumières, utopie, pénalité, bande dessinée). L’actualité normative nourrit son lien comparatiste au passé. Derniers ouvrages publiés chez Georg: Dictionnaire critique des utopies au temps des Lumières (av. B. Baczko et F. Rosset), Le sang des lilas, une mère mélancolique égorge ses quatre enfants en mai 1885 à Genève.
Son blog sur le site du Temps (FR)
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Avenue du Bouchet 2
1209 Genève
Suisse
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