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Bonjour, c’est Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à Fribourg, pour vous donner mon Point de vue.

Le vendredi, c’est le jour oĂč votre newsletter laisse place Ă  une chronique, sur l’international, la politique, la justice climatique ou, en ce qui me concerne, la cognition.

Aujourd’hui, voyons comment ma discipline, aprĂšs les avoir longtemps ignorĂ©es, s’intĂ©ressent Ă  la diversitĂ© de nos cerveaux et de nos perceptions. Et il y a beaucoup Ă  en dire!

photo journaliste

Sebastian Dieguez,

10.03.2023

Avant d'entrer dans le vif

🇹🇳 EN GRAPHES. La Chine, bientĂŽt LA superpuissance scientifique et technologique. Le constat est inquiĂ©tant: l’empire du Milieu est en train de dĂ©passer l’Europe et les Etats-Unis.

⚔ En 1917, la brĂšve indĂ©pendance de l’Ukraine finit dans le sang. Les Ukrainiens sont enfin maĂźtres chez eux et reconnus des grandes puissances. Mais l’histoire est tragique…

đŸ‘źâ€â™‚ïž «Il faut en finir avec cette idĂ©e que le policier chasse.» Pour FrĂ©dĂ©ric Maillard, conseiller auprĂšs de plusieurs polices suisses, un changement de culture s’impose… mais pas partout.

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Les neurosciences ont ouvert les yeux et c'est heureux

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Pixabay / krzysztofmika

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Si vous fermez les yeux, que voyez-vous? A priori, la rĂ©ponse Ă  ce test assez simple ne devrait pas crĂ©er trop de controverses: rien, pardi! Et pourtant, la question a soulevĂ© nombre de spĂ©culations au 19e siĂšcle. Certains affirmaient que mĂȘme les paupiĂšres closes, on voit toutes sortes de choses: des espĂšces d’échiquiers, des cercles concentriques, des rubans mouvants, des Ă©toiles scintillantes, des flashes colorĂ©s.

D’autres soutenaient qu’on ne voit rien, mais diffĂ©rentes sortes de «rien»: du noir, du gris, parfois du blanc, ou mĂȘme rien du tout… La question n’est Ă  ce jour pas rĂ©solue, mais en gros, ce qu’on «voit» les yeux fermĂ©s dĂ©pend des gens et des circonstances.

VoilĂ  une conclusion qui ne plaĂźt en gĂ©nĂ©ral pas aux scientifiques. En neurosciences, par exemple, on cherche Ă  expliquer comment fonctionne le cerveau, et pendant longtemps, cette approche a permis d’enrichir nos connaissances sur son anatomie, ses fonctions et ses pathologies. Bien sĂ»r, tout le monde est diffĂ©rent, mais Ă  force de recoupements, de moyennes et de rĂ©gressions, on parvient Ă  dĂ©terminer en quoi consiste le cerveau moyen.

De fait, on a mĂȘme tout fait pour ne pas trop s’éloigner de ce modĂšle idĂ©alisĂ©: la quasi-totalitĂ© des Ă©tudes ont ainsi Ă©tĂ© menĂ©es sur des jeunes hommes droitiers, occidentaux et Ă©duquĂ©s.

On pensait ainsi s’épargner les complications fĂącheuses que ne manqueraient pas de produire des Ă©chantillons trop hĂ©tĂ©rogĂšnes. Mais, ce faisant, on rĂ©duisait Ă©videmment «le» cerveau Ă  celui d’une portion franchement minoritaire de la population humaine.

Quand les neurosciences ouvrent le spectre

La discipline en appelle aujourd’hui Ă  une approche plus inclusive, embrassant la notion de diversitĂ©. Non comme un Ă©cueil mĂ©thodologique, mais comme un principe directeur. Il se trouve que le cerveau des gauchers, des femmes, des minoritĂ©s, des classes dĂ©favorisĂ©es et des personnes issues d’autres cultures a tout de mĂȘme des choses Ă  nous apprendre. Et qu’ils sont tout autant concernĂ©s par les applications en mĂ©decine, dans l’éducation, les technologies ou la politique.

Ce progrĂšs, considĂ©rable et dans l’air du temps, ne devrait pas s’arrĂȘter en si bon chemin.

En effet, la diversitĂ© n’est pas toujours visible, et n’a souvent rien d’évident. Reprenons notre exercice: fermez les yeux, puis bougez votre main devant votre visage. Percevez-vous du mouvement? Si oui, vous ĂȘtes sujet Ă  l’«illusion du spĂ©lĂ©ologue». Des Ă©tudes contrĂŽlĂ©es ont montrĂ© que ce phĂ©nomĂšne touche environ la moitiĂ© des gens, mais 100% des personnes douĂ©es de synesthĂ©sie – celles qui voient les notes de musique en couleur, «goĂ»tent» les lettres, ou encore entendent» les mouvements


Des singularitĂ©s que l’on prenait comme des lubies ou de pittoresques anomalies apparaissent aujourd’hui comme des expressions lĂ©gitimes et normales de la diversitĂ© humaine. Certaines sont restĂ©es masquĂ©es par simple ignorance. Dans une Ă©tude, tous ceux qui voyaient du noir en fermant les yeux croyaient qu’il en allait de mĂȘme pour tout le monde, et aucun de ceux qui voyaient des formes ne pensait qu’il puisse en aller diffĂ©remment chez autrui.

Le cerveau, cette cour des miracles

Toujours plus Ă©trange, les chercheurs s’intĂ©ressent depuis quelques annĂ©es Ă  des franges atypiques de la population:

- les «aphantasiques» (jusqu’à 4% de la population), qui ne peuvent «visualiser» quoi que ce soit dans leur tĂȘte,
- les «endophasiques», qui ont une «petite voix intérieure»,
- les «hyperthymĂ©siques» qui vous disent immĂ©diatement ce qu’ils portaient et le temps qu’il faisait le 4 avril 2003,
- les «super-reconnaisseurs», qui ont des capacités de reconnaissance faciale hors du commun,
- ou au contraire les «prosopagnosiques congénitaux», incapables de reconnaßtre le moindre visage.

Il reste quantitĂ© d’autres curiositĂ©s cognitives qu’on commence seulement Ă  dĂ©couvrir.

Donc non, la diversitĂ© n’est pas un vain mot. En neurosciences, elle permet de dĂ©velopper de nouvelles hypothĂšses, de mettre Ă  l’épreuve les thĂ©ories existantes, de sortir d’une vision pathologisante des diffĂ©rences, et nous force Ă  prendre en compte le type d’environnement qui permet au mieux de l’exprimer et d’en rĂ©vĂ©ler les nuances.

Il est temps d’en finir avec le cerveau, et d’embrasser la richesse, et mĂȘme l’étrangetĂ©, des multiples maniĂšres de se reprĂ©senter et d’interprĂ©ter le monde. Sans cela, on risque d’avancer… les yeux fermĂ©s.

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Le journaliste scientifique Steve Silberman. | Photographie: Tanya Rosen-Jones.

«Les personnes autistes n’ont pas besoin d’ĂȘtre soignĂ©es, mais soutenues». Steve Silberman est un journaliste scientifique amĂ©ricain connu pour ses contributions au magazine Wired. Son livre Neurotribes, paru en 2015 aux Etats-Unis et en 2020 en France, a Ă©tĂ© rĂ©compensĂ© du prestigieux prix littĂ©raire Samuel-Johnson. Il y apporte une contribution essentielle sur la perception de l’autisme en dĂ©veloppant le concept de neurodiversitĂ©, ouvrant la voie Ă  une meilleure intĂ©gration des personnes autistes dans la sociĂ©tĂ©. Retrouvez notre entretien.

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A lire ou Ă©couter

L’aphantasie, ou l’incapacitĂ© de se reprĂ©senter une image mentale. L’aphantasie, c’est l’incapacitĂ© plus ou moins marquĂ©e Ă  se reprĂ©senter une image mentale. Une singularitĂ© identifiĂ©e dĂšs la fin du 19e, mais qui n’est redevenue que tout rĂ©cemment un sujet d’Ă©tudes, sous l’influence du psychologue et chercheur en neurosciences Joel Pearson, fondateur du Future Minds Lab Ă  l’UniversitĂ© de Sydney. Retrouvez Ă  ce sujet la chronique de CQFD, l’Ă©mission scientifique de La PremiĂšre, Ă  Ă©couter en podcast.

CQFD (RTS, accĂšs libre) (FR)

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The Independent (accĂšs libre) (EN)

Ces voix intĂ©rieures qui nous animent. Vous l’avez dĂ©jĂ  sans doute expĂ©rimentĂ©, ce narrateur intĂ©rieur. Cette voix qui verbalise nos pensĂ©es, comme si l’on avait besoin de nos propres oreilles pour s’entendre. Comme souvent, les neuroscientifiques essaient de la comprendre en s’intĂ©ressant aux cas exceptionnels: ceux qui n’entendent jamais leur petite voix. Le magazine Discover revient sur les recherches en cours.

Discover (accĂšs libre) (EN)

Un mot sur notre chroniqueur

Sebastian Dieguez est docteur en neurosciences, il enseigne Ă  l’UniversitĂ© de Fribourg. Ses recherches portent sur la formation des croyances et le complotisme. Il est l’auteur de Croiver: pourquoi les croyances ne sont pas ce que l’on croit (Ă©d. Eliott, 2022), Le Complotisme: cognition, culture, sociĂ©tĂ© (Ă©d. Mardaga, 2021) et Total Bullshit: au coeur de la post-vĂ©ritĂ© (PUF, 2018), ainsi que de chroniques dans l’hebdomadaire satyrique Vigousse.

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