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Imagine-t-on sĂ©rieusement, un seul instant, un oligarque russe parquer son fric dans une banque allemande ou française avec tous les risques que cela supposerait de le voir prestement confisquĂ©? MĂȘme mal dĂ©grossi, mĂȘme peu Ă lâaise dans les subtilitĂ©s des langues Ă©trangĂšres, nâimporte quel ours milliardaire de SibĂ©rie dispose du minimum de matiĂšre grise requis pour savoir quâun magot bien planquĂ© en Europe ne peut lâĂȘtre quâen Suisse, encore et toujours. Le yacht prĂ©sidentiel Ă Antibes (dĂ©sormais Ă Bodrum), câest une chose; mais pour lâhomme de paille, il nây a pas quinze solutions.
Tout a changĂ© depuis la fin du secret bancaire? Oui, tout, sauf ça. Trois dĂ©cennies aprĂšs le grand pillage des anciens biens publics soviĂ©tiques, notre ours a appris que GenĂšve, Zoug et Lugano, pour ne citer que ces trois-lĂ , disposent dâune camarilla dâavocats Ă tout faire, conseillers, fiscalistes, dont la morale nâĂ©touffe pas la crĂ©ativitĂ©. En anglais, on appelle ces gens des enablers, un vocable qui recouvre mieux la variĂ©tĂ© de leur potentiel que le mot français dâintermĂ©diaires ou de facilitateurs.
Les pourvoyeurs de possible
Avec un enabler, on rĂšgle tout: le collĂšge privĂ© pour les enfants dans les Alpes, le shopping chez les joailliers de la rue du RhĂŽne pour madame, et le trust offshore dans les Iles Vierges britanniques pour monsieur, qui est par ailleurs vice-ministre de la dĂ©fense Ă Moscou, occupĂ© Ă massacrer des Ukrainiens Ă coups de missiles de croisiĂšre sur des zones dâhabitation pendant ses heures de bureau. Lâhistoire est ici, documentĂ©e par la Fondation anticorruption de lâopposant russe AlexeĂŻ Navalny, en train de mourir Ă petit feu dans une geĂŽle de la dictature poutinienne.
Le droit suisse, nous dit-on, a fait de grands progrĂšs ces quinze derniĂšres annĂ©es pour encadrer les activitĂ©s bancaires â avec tout le succĂšs que lâon sait dans lâaffaire Credit Suisse â et lutter contre le blanchiment. Il a juste oubliĂ© dâĂ©tendre sa portĂ©e Ă lâactivitĂ© de ces enablers. Tout comme les nĂ©gociants de matiĂšres premiĂšres, qui ont fait de GenĂšve la premiĂšre place mondiale pour le trading de pĂ©trole et de charbon russes avant la guerre, ils disposent donc dâune forme dâimpunitĂ© de facto dans la gestion des flux de ces immenses fortunes russes, qui sont au service du projet gĂ©nocidaire russe en Ukraine.
Pleutralité permanente
En clair, et pour cesser de tourner autour du pot, la Suisse a un problĂšme urgent et majeur: elle est de plus en plus perçue Ă lâĂ©tranger comme un profiteur de guerre, essayant de refaire en douce le coup du banquier des nazis tout en clamant son amour des «valeurs communes» occidentales.
Lâinflexible neutralitĂ©, vache sacrĂ©e bicentenaire, ne permettrait aucun accommodement avec la rĂ©alitĂ© dâun monde mĂ©tamorphosĂ© depuis lâinvasion russe de lâUkraine.
La Finlande abandonne sa neutralitĂ© pour rejoindre lâOTAN? «Oui, mais câest parce quâelle a une frontiĂšre commune avec la Russie, et quâelle a peur, mais nous câest diffĂ©rent, car nous sommes un cas particulier», nous disait rĂ©cemment Christoph Blocher dans les colonnes du Monde.
Les Suisses traĂźnent les pieds dans la traque au cash des oligarques? «Faux, nous avons gelĂ© deux fois plus de fonds que la France et lâAllemagne rĂ©unies», nous rĂ©pond le prĂ©sident de la ConfĂ©dĂ©ration Alain Berset, dans un entretien Ă TV5 Monde. Comme si, pour en revenir au dĂ©but de ce texte, un milliardaire russe prenait la peine de confier son cash Ă un banquier parisien ou berlinois!
La badine de lâOncle Tom
Non, la Suisse nâest pas indiffĂ©rente au sort des Ukrainiens mais ne peut pas en faire davantage parce que sa Constitution ne le lui permet pas, nous jure le Conseil fĂ©dĂ©ral. Cette lecture strictement lĂ©galiste ne convainc plus. La pression monte Ă lâextĂ©rieur, oĂč la lassitude face au cas helvĂšte se transforme progressivement en agacement, ainsi que le dĂ©taillait cette semaine le Tages Anzeiger.
Comme câĂ©tait le cas il y a bientĂŽt trente ans pendant lâaffaire des fonds juifs, alors que les banques et les autoritĂ©s jouaient la montre le temps de laisser passer lâorage, câest Washington qui va faire cesser la blague. Tant mieux, elle a assez durĂ©.
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