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Bonjour, c’est Serge Enderlin, pour vous donner mon Point de vue du vendredi.

C’est le jour oĂč votre newsletter laisse la place Ă  un chroniqueur, sur la politique, les neurosciences, la justice climatique ou, en ce qui me concerne, l’international.

Je reviens d’un road trip aux Etats-Unis. En Caroline du Sud, j’ai pu constater l’Ă©tat lamentable de l’Interstate 95, l’autoroute qui longe la cĂŽte atlantique.

La premiĂšre puissance mondiale Ă  des problĂšmes de nids-de-poule, ce qui en dit long…

photo journaliste

Serge Enderlin, Lausanne

19.05.2023

Avant d'entrer dans le vif

đŸ’„ Mauro Poggia: «J’ai dit Ă  Pierre Maudet qu’une caisse publique Ă©tait une fausse bonne idĂ©e». C’est l’heure de l’interview bilan pour l’ex homme fort du Conseil d’Etat genevois.

đŸ€– Une IA europĂ©enne permet de modifier n’importe quelle image en temps rĂ©el. En deux mouvements de souris, il est dĂ©sormais possible de faire sourire un ami ou bĂąiller un lion.

đŸ‡©đŸ‡Ș Comment un ministre allemand s’est trouvĂ© au cƓur d’une tentative de putsch. Objectif des conspirateurs? Restaurer le IIe Reich, rien que ça! On vous raconte cette histoire de fou.

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Entre Charleston et Savannah

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La fameuse Interstate 95, ici en Floride. | Keystone / AP Photo / Florida Today, Michael R. Brown

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Rouler sur l’Interstate 95 en Caroline du Sud, entre Charleston et Savannah, est une expĂ©rience aussi Ă©difiante qu’enrichissante, qui en dit long sur l’état de l’AmĂ©rique. L’état de l’union et l’état de dĂ©labrement; l’état d’esprit aussi. Je la parcourais il y a quelques jours, dans le seul but de rĂ©aliser un trĂšs vieux fantasme, rendu encore plus licencieux avec la mauvaise conscience climatique: dĂ©couvrir les deux mythiques citĂ©s cĂŽtiĂšres atlantiques Ă©voquĂ©es Ă  la premiĂšre ligne.

Glorieuses autoroutes

Aux États-Unis, les autoroutes portent, on ne vous apprendra rien, le nom d’Interstate highways. Elles sont le rĂ©sultat d’une volontĂ© politique amorcĂ©e en 1956 par le prĂ©sident Eisenhower, encore impressionnĂ© par ce qu’il avait vu (et avait dĂ» bombarder) en Allemagne: die Autobahn. A l’échelle d’un continent, ce fut un projet comme nul autre ailleurs sur la planĂšte, 46’876 miles (75’439 kilomĂštres) de voies ultra-larges, 2x2, 2x4, parfois 2x6 voies, et jusqu’à 2x8 dans les mĂ©tropoles, Baltimore ou Miami pour ne citer que ces deux.

En 1991, l’Interstate System Ă©tait considĂ©rĂ© comme terminĂ©, 35 ans aprĂšs le dĂ©but des travaux. Entre deux, ce maillage autoroutier du territoire amĂ©ricain a fait civilisation, façonnĂ© la suburbia. Il a soutenu pendant des dĂ©cennies les premiĂšres industries automobile et pĂ©troliĂšre du globe, Detroit et le Texas, General Motors et ExxonMobil.

La prochaine fois je prendrai l’avion

Or les AmĂ©ricains roulent beaucoup, leurs voitures n’ont cessĂ© de grossir, et ils passent leur vie Ă  tirer des trucs lourds et inutiles derriĂšre leurs grosses cylindrĂ©es, ce qui abĂźme le bitume. Et comme les investissements publics ne sont pas toujours la prioritĂ© Ă  Washington, ou plutĂŽt ne le sont jamais quand les administrations sont rĂ©publicaines, l’entretien du rĂ©seau autoroutier laisse Ă  dĂ©sirer.

Le rĂ©sultat saute aux yeux: les Interstate sont gĂ©nĂ©ralement dans un Ă©tat lamentable. La traversĂ©e du tronçon Caroline du Nord de l’I-95 — l’autoroute longe la cĂŽte atlantique sur 3000 kilomĂštres — est d’abord un choc sonore, celui, saccadĂ©, des jointures des plaques de bĂ©ton rainurĂ©es, dĂ©glinguĂ©es par les milliards de passages. Un choc visuel ensuite, avec ces nids-de-poule qui ont parfois la longueur de piscines olympiques, et les tonnes de fragments de pneumatiques, de poids lourds surtout, laissĂ©s en bordure de route et parfois au milieu. Les pneus se dĂ©litent ou Ă©clatent Ă  cause de l’état de la chaussĂ©e.

En 2019, le site local FITSNews, citĂ© par Forbes, comparait cette portion de l’I-95 Ă  «une piste d’atterrissage afghane». Extraits de tĂ©moignages Reddit glanĂ©s par le magazine amĂ©ricain:

«En voyageant rĂ©cemment du New Jersey Ă  la Floride, ce tronçon de l’I-95 en Caroline du Sud est absolument horrible… De l’asphalte dĂ©foncĂ© et d’autres zones avec des patches sur des patches sur d’autres patches. C’est de la folie!!!… Je prendrai l’avion la prochaine fois et toutes les suivantes.»

«SĂ©rieusement, je viens de faire un aller-retour entre Boston et Miami, et le tronçon qui traverse la Caroline du Sud me donne l’impression de conduire dans un pays du tiers-monde. C’est quoi le problĂšme?»

Changement de décor

Il suffit de passer en Caroline du Nord, et soudain tout change. Nous sommes toujours sur l’I-95, celle que Bruce Springsteen chantait dans «Working on the Highway». Des milliers d’hommes au travail le long de la chaussĂ©e, un chantier permanent, taille XXL, des arbres coupĂ©s, un lit de sable frais pour les voies supplĂ©mentaires en construction. Partout s’ébroue l’orange fluo des gilets et le jaune des casques dont ils sont affublĂ©s.

Il y a 18 mois, l’administration Biden a posĂ© 220 milliards de dollars sur la table pour rĂ©nover ce grand vieux pays amochĂ©, aux routes ruinĂ©es, aux viaducs branlants et aux aĂ©roports restĂ©s dans leur jus brutaliste des annĂ©es 1980.

Ce programme fĂ©dĂ©ral, on l’aura compris, est mis en Ɠuvre de maniĂšre diffĂ©rente dans les États, le contraste entre les deux Caroline n’étant pas le moins spectaculaire. Mais dans l’ensemble, il fonctionne. L’AmĂ©rique se reconstruit Ă  coups de centaines de milliards de dollars de fonds publics, grand geste volontariste en train de changer son visage.

Réindustrialisation à marche forcée

Sur Build.gov, on peut se faire une idĂ©e de l’ampleur du programme, et parce que chaque dollar du contribuable amĂ©ricain dĂ©pensĂ© par l’administration fĂ©dĂ©rale ne saurait l’ĂȘtre sans justification, on peut mĂȘme suivre ici le dĂ©tail du gros Ɠuvre, chantier aprĂšs chantier.

De l’agrandissement du port en eaux profondes de Savannah sur la cĂŽte de GĂ©orgie (troisiĂšme terminal cargo US par le tonnage) aux Ă©quipements gĂ©ants pour lutter contre les crues dans le Deep South, premier affectĂ© par les cyclones que la dĂ©bĂącle climatique accĂ©lĂšre et renforce. L’AmĂ©rique rĂ©nove ses infrastructures, elle se rééquipe. Mieux, elle rĂ©industrialise Ă  marche forcĂ©e.

LĂ  aussi, c’est une dĂ©cision politique, voulue par Washington. Un plan Ă  350 milliards, visant Ă  ramener d’Asie les grandes usines de semi-conducteurs, le nouveau pĂ©trole. Le TaĂŻwanais TSMC construit ainsi dans l’Arizona une gigantesque usine. La premiĂšre puissance mondiale entend le rester, et s’en donne les moyens. D’une certaine maniĂšre, c’est un sacrĂ© tournant!

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Bien vu

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FlickR / Virginia Department of Transportation

Cachez ce nid-de-poule que je ne saurais voir Une machine Ă  faire des enrobĂ©s Ă  froid, pour la rĂ©paration (de fortune!) des nids-de-poule, ici en 2010 Ă  Richmond (Floride). Les portions de bitume dĂ©foncĂ©es dĂ©passent parfois de loin le diamĂštre d’une roue, provoquant des crevaisons ou dĂ©tachant des portions de la chape des pneumatiques des poids lourds, souvent rĂ©parĂ©s Ă  la va-vite. RĂ©sultat: des alligators de route, comme les appellent les AmĂ©ricains, Ă  savoir de longues bandes de caoutchouc qui jonchent les bordures des routes et parfois la chaussĂ©e.

De bonnes lectures

La loi Biden sur les infrastructures. On en a peu parlĂ© en Europe, mais c’est un tournant majeur: le gouvernement Biden a rĂ©ussi Ă  faire voter une loi Ă  1200 milliards de dollars pour remettre en Ă©tat les infrastructures souvent lamentables du pays. Le site amĂ©ricain Politico analyse les enjeux de ce titanesque projet, dont les DĂ©mocrates ont pour l’heure de la peine Ă  tirer les fruits Ă©lectoraux.

Politico (accĂšs libre) (EN)

La Maison-Blanche sort le mĂ©gaphone. Le gouvernement Biden aimerait bien tirer profit de sa trĂšs ambitieuse loi sur les infrastructures auprĂšs de l’opinion. Hier, la Maison-Blanche s’est donc employĂ©e Ă  communiquer directement sur Twitter pour prĂ©senter l’Ă©tat d’avancement des plus gros chantiers. On n’est jamais mieux servi que par soi-mĂȘme.

Twitter (accĂšs libre) (EN)

Un mot sur notre chroniqueur

Serge Enderlin est Ă©crivain et journaliste. Pendant les annĂ©es 1990, il a Ă©tĂ© correspondant en Europe de l’Est puis au Royaume-Uni pour plusieurs mĂ©dias suisses et français. Il a dirigĂ© le service Ă©tranger du quotidien Le Temps (2000-2005). Reporter indĂ©pendant depuis quinze ans, il participe Ă  l’Ă©mission de reportages Mise au Point de la RTS. Il a notamment publiĂ© Un monde de brut, sur les routes de l’or noir en 2003 (Ă©d. Seuil, avec Serge Michel et Paolo Woods) et Angleterre, Brexit et consĂ©quences en 2017 (Ă©d. Nevicata).

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