Bonjour, câest Serge Enderlin, pour vous donner mon Point de vue du vendredi.
C’est le jour oĂč votre newsletter laisse la place Ă un chroniqueur, sur la politique, les neurosciences, la justice climatique ou, en ce qui me concerne, l’international.
Je reviens d’un Royaume-Uni exsangue, oĂč je n’avais pas mis les pieds depuis une Ă©ternitĂ©. Pourtant, quand les missiles ont commencĂ© Ă pleuvoir en Ukraine, Londres a relevĂ© la tĂȘte.
On n’en dira pas autant d’une autre Ăźle, de nous bien connue. |
Avant d'entrer dans le vif
|
|
Voie solitaire et sens de lâhonneur
|
Le Premier ministre britannique Rishi Sunak et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, le 8 février 2023 à Lulworth, devant un char Challenger 2. | Keystone / AP / Andrew Matthews
|
đ Lire en ligne đ
Curieuse attitude que celle de ces pays qui dĂ©cident de sâaffranchir de la compagnie des autres. Pourtant Ă y regarder de plus prĂšs, il y a de sacrĂ©es nuances. Prenez les Suisses et les Britanniques.
Londres, enfin. Une Ă©ternitĂ© que je nâavais pas eu lâoccasion dây mettre les pieds, cruelle absence aprĂšs avoir fait de la capitale britannique mon domicile pendant les annĂ©es Blair, avant de la frĂ©quenter par la suite avec une assiduitĂ© aussi rigoureuse que trimestrielle pendant prĂšs de vingt ans. Et puis advĂźnt la double rupture.
- Celle du Brexit, entre les Britanniques et lâUnion europĂ©enne, actĂ©e le 31 janvier 2020 Ă minuit, qui allait compliquer les choses.
- Celle du Covid-19 ensuite, tout juste quelques semaines plus tard, qui allait mĂȘme rendre tout simplement impossible le dĂ©placement physique outre-Manche.
Nous nous sommes tant manquĂ©s, London calling. Aussi, lors de deux sĂ©jours rĂ©cents, câest tous les sens en Ă©veil que jâai tentĂ© de capter ce qui avait changĂ© dans lâair du temps, Ă lâaffĂ»t de constats rĂ©jouissants ou dĂ©solants, mauvais esprit en bandouliĂšre, compassion Ă disposition. Se retrouver un mardi de fĂ©vrier en fin dâaprĂšs-midi sur Kensington High Street, artĂšre autrefois bondĂ©e dâun quartier privilĂ©giĂ©, aujourdâhui largement dĂ©sertĂ©e.
Un royaume bien mal en point
«Parce quâaller en ville coĂ»te cher et que le tĂ©lĂ©travail est dâabord un moyen de sauver du pouvoir dâachat dans un pays qui sombre», mâa confiĂ© un ami journaliste londonien avec qui jâaurais aimĂ© manger, mais qui ne quitte plus sa taniĂšre des Brecon Beacons, une sorte de chaĂźne du Jura au Pays de Galles, oĂč le fromage de chĂšvre est merveilleux, lâinternet rapide et les loyers modĂ©rĂ©s.
Comprendre, à la lecture de diverses polémiques de pied de page dans la presse tabloïd, que des millions de Britanniques ne parviennent plus à joindre les deux bouts (to make ends meet), rincés par une livre sterling qui ne vaut plus rien, et par la danse macabre des loyers hypothécaire provoquée par la hausse des taux.
RĂ©aliser que lâeau, le gaz, lâĂ©lectricitĂ©, les fluides du quotidien, sont maintenant des produits de luxe. De plus en plus nombreux, les pauvres, ces salauds, avaient tendance Ă oublier de rĂ©gler leurs factures. Or les compagnies qui fournissent le jus sont privĂ©es, cotĂ©es en bourse, et il ne saurait ĂȘtre question de les affaiblir en faisant des exceptions pour les gueux. Pour eux, câest dĂ©sormais prepaid sinon rien. Quota de gaz atteint le 15? On mangera froid jusquâĂ la fin du mois.
La possibilitĂ© d’une Ăźle…
Et pourtant, câest de ce pays symboliquement exsangue que nous vient une leçon de courage et de dignitĂ©. Lâaddition du Brexit est salĂ©e? Elle nâempĂȘche pas les Anglais de se montrer, comme ils lâont toujours Ă©tĂ© Ă travers lâHistoire, Ă la hauteur des circonstances.
En clair, câest ce Royaume-Uni Ă©puisĂ©, moquĂ© pour lâinconsĂ©quence de son souverainisme dâopĂ©rette, qui a dâemblĂ©e activĂ© le rĂ©flexe churchillien, sens de lâhonneur et action dĂ©terminĂ©e, quand la guerre est revenue en Europe. Impeccables de dignitĂ©, les Britanniques sont les premiers Ă avoir rĂ©pondu Ă lâappel. Des milliards sur la table, des armes en veux-tu en voilĂ , des soldats ukrainiens invitĂ©s Ă venir parfaire leur formation dans les Ăźles britanniques.
Il existe dĂ©sormais de facto un axe moral Londres-Vilnius-Kiev, qui lie entre eux ceux (Polonais et Baltes Ă©taient trop concernĂ©s, voisinage immĂ©diat du monstre oblige, pour ne pas en faire partie) qui ont pris la mesure du pĂ©ril fasciste menaçant le continent. (Trop attentistes, pour des motifs complexes, Berlin et Paris nâen font pas directement partie.)
… et l’enfermement d’une autre
Solitaires sur leur archipel brexitĂ©, mais solidaires, les Britanniques ne sont pas atteints de «frĂ©nĂ©sie guerriĂšre», pour reprendre lâexpression navrante du prĂ©sident en exercice dâune confĂ©dĂ©ration de cantons. Dont le territoire a une vraie spĂ©cificitĂ©. Il sâagit de la seule Ăźle Ă ĂȘtre entourĂ©e de voisins terrestres, et Ă ne pas disposer dâaccĂšs Ă la mer â gĂȘnant, pour une Ăźle.
Une nation qui subit ces jours des pressions terribles, car elle est parvenue, il faut saluer cette constance absurde, Ă fĂącher en mĂȘme temps Paris et Berlin, lâUnion europĂ©enne et les Etats-Unis, pour toute une sĂ©rie de raisons diverses mais qui ont toutes la mĂȘme origine: solitaire mais pas solidaire.
đ Lire sur Heidi.news đ (FR)
|
|
Un an de guerre en 1000 ans d'histoire, la suite
|
Dans cette caricature de 1919, les Ukrainiens sont entourĂ©s d’un bolchevik (au nord, un homme avec un chapeau et une Ă©toile rouge), d’un soldat russe de l’ArmĂ©e blanche (Ă l’est, avec un drapeau russe en forme d’aigle et un fouet court) et, Ă l’ouest, d’un soldat polonais, d’un Hongrois (en uniforme rose) et de deux soldats roumains. Wikimedia Commons
|
Episode 4. Ces Cosaques ukrainiens antisémites qui ont vendu leur pays à la Russie.
Au milieu du 17e siĂšcle, les Cosaques d’Ukraine n’en peuvent plus de leurs maĂźtres polonais et des juifs que ces derniers ont laissĂ© prospĂ©rer sur les terres ukrainiennes. Ils massacrent les juifs par dizaine de milliers, mais peinent Ă tenir tĂȘte aux Polonais. Alors leur chef, Bohdan, demande une simple «protection» au tsar de Russie et signe, en 1654, le traitĂ© de PereĂŻaslav. Une erreur monumentale. Il soumet ainsi son pays Ă la domination russe, pour trois siĂšcles.
Heidi.news (abonnés) (FR)
|
Episode 5. En 1917, la brĂšve indĂ©pendance de l’Ukraine, qui finit dans le sang
Moment historique. Le 20 novembre 1917, l’Ukraine devient un «Ătat indĂ©pendant libre et souverain» avec la proclamation de la Rada, le Parlement. Les Ukrainiens sont maĂźtres chez eux, reconnus par de grandes puissances. Mais le dĂ©sordre et l’anarchie tuent rapidement tout espoir. Cent mille juifs sont massacrĂ©s en 1919, lors d’un millier de pogroms barbares menĂ©s par des nationalistes et des Russes blancs. Puis Staline met l’Ukraine au pas.
Heidi.news (abonnés) (FR)
|
Episode 7. En 1941, un massacre de juifs Ă Kiev fait dĂ©marrer lâHolocauste.
Lâinvasion de lâURSS par les nazis est avant tout une invasion de lâUkraine. AprĂšs avoir pris Kiev, ils convoquent «tous les juifs» au fossĂ© de Babi Yar. C’est un piĂšge. Plusieurs dizaines de milliers sont fusillĂ©s Ă la chaĂźne dans cet assassinat de masse qui restera comme la «Shoah par balles». A la manĆuvre, le colonel SS Paul Blobel, qui s’en inspirera pour lancer la «Solution finale» quelques mois plus tard.
Heidi.news (abonnés) (FR)
|
|
Un mot sur notre chroniqueur
|
Serge Enderlin est Ă©crivain et journaliste. Pendant les annĂ©es 1990, il a Ă©tĂ© correspondant en Europe de l’Est puis au Royaume-Uni pour plusieurs mĂ©dias suisses et français. Il a dirigĂ© le service Ă©tranger du quotidien Le Temps (2000-2005). Reporter indĂ©pendant depuis quinze ans, il participe Ă l’Ă©mission de reportages Mise au Point de la RTS. Il a notamment publiĂ© Un monde de brut, sur les routes de l’or noir en 2003 (Ă©d. Seuil, avec Serge Michel et Paolo Woods) et Angleterre, Brexit et consĂ©quences en 2017 (Ă©d. Nevicata).
|
|
|
Avenue du Bouchet 2
1209 GenĂšve
Suisse
|
|
|