Voyage dans la France d'avant-bascule

La marmite boue à Chaussan, près de Lyon, à l’approche des législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024. | AFP / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK

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Et par un soir de juin… «Je dissous donc ce soir l’Assemblée nationale.»
➢ Ces mots, prononcés par Macron le 9 juin 2024, ont fracassé un ciel hexagonal déjà peu serein.
➢ En organisant des élections législatives anticipées, le chef de l’Etat français, sans majorité absolue à l’Assemblée depuis deux ans, espérait reprendre la main sur le sort du pays.
➢ Son pari: prendre de cours la gauche divisée pour renforcer sa majorité, face au Rassemblement national arrivé premier aux élections européennes.

➥ Mais la stratégie du président français, confronté à une montée irrépressible du RN, a d’ores et déjà échoué.

Manœuvres politiques. Les partis, sous pression, ont réagi à la «grenade dégoupillée» de Macron en se recomposant fissa.

➢ La gauche s’est unie au sein d’un improbable Nouveau front populaire, qui devrait exploser sitôt le second tour terminé.
➢ Avec son président Eric Ciotti dans le rôle du fossoyeur, le parti des Républicains, déjà marginalisé, a explosé entre les pro et les anti-RN.
➢ Le parti Renaissance a mené une campagne laborieuse, sous bannière Attal puisque Macron est devenue une figure repoussoir pour beaucoup d’électeurs.
➢ La droite de gouvernement (Horizons, certains ministres ex-LR) est en train de s’autonomiser, avec la présidentielle de 2027 en vue.

➥ Le RN sera le premier parti de France à l’Assemblée, mais n’aura pas la majorité absolue. Les autres formations politiques vont tenter de fabriquer une coalition de bric et de broc pour ne pas laisser entrer Jordan Bardella à Matignon.

Bardella avant son discours le soir des résultats du 1er tour des législatives anticipées, le 20 juin 2024. | Keystone / AP Photo / Aurelien Morissard

L’essor d’un parti.

➢ Le vent en poupe depuis 25 ans, le RN capitalise sur plusieurs ressorts:
 ● un mécontentement croissant des Français vis-à-vis d’une classe politique jugée impuissante,
 ● le sentiment de relégation socio-économique d’une partie croissante du territoire (campagnes, petites villes),
 ● le rejet d’une gouvernance jugée autoritaire et déconnectée des vrais besoins,
 ● le rejet d’une immigration peu qualifiée perçue comme incontrôlée, coûteuse, et insécurisante.

Une France toute brune.

➢ Il est d’usage de distinguer le RN du Nord et le RN du Sud:
 ● dans le Nord (Hauts-de-France) et l’Est (Alsace-Lorraine) désindustrialisés, le vote RN est plutôt lié aux classes populaires rurales et aux ouvriers.
 ● dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le vote est plutôt le fait des petites classes moyennes (employés, artisans et commerçants, micro-entrepreneurs…).

🚨 Mais ces dernières années, le vote RN a largement débordé ces deux bastions, pour gagner l’ensemble de la France. On peine à trouver des endroits où il n’est pas le premier parti, en dehors des métropoles.

Un périple en France. Dans son périple, Serge Enderlin s’est arrêté dans des zones de France qui ne sont pas des bastions traditionnels du RN… mais le sont devenus ou n’en sont pas loin.
 ● Vers Troyes et Colombey-les-Deux-Eglises, sur les traces du général de Gaulle.
 ● Vers Chartres, pour y admirer la plus belle moustache d’Eure-et-Loir.
 ● Vers Blois, dans la Loire, pour assister à une manifestation CGT où s’inscruste le RN.
 ● En Corrèze avec François Hollande, tout heureux de repartir en campagne.
 ● Vers Vichy, pour continuer sa collection de lapins RN.

☝️ Au cours de ce «Voyage en dissolution nationale», une constante est apparue: confiant dans sa dynamique électorale, et sans doute moins dans la qualité de ses candidats, le RN a décidé d’éviter la presse et ses questions gênantes…

Les épisodes publiés à ce jour

Camionnette aux couleurs de la fabrique Poulain, lors de la manifestation du 22 juin 2024. | Serge Enderlin, pour Heidi.news

INTRO. Comment Bolloré est entré chez ma mère. A Mont-de-Marsan, comme partout dans l’Hexagone, la politique se passe de politesse. C’est ainsi que jeudi matin au réveil, ma mère m’a balancé l’actualité au visage avant ma première gorgée de café: ce dictateur de Macron réfléchirait à employer le terrible article 16 de la Constitution, qui donne les pouvoirs étendus au président. Source: les médias Bolloré…

Episode 1. Les mânes du Général, un député RN nommé Jordan et une andouillette AAAAA. On débute notre périple sur les routes de France par Colombey-les-Deux-Eglises, le village du général de Gaulle, où il est d’usage d’aller pèleriner tous les 18 juin. Nous ferons ensuite la rencontre de Jordan le candidat RN au verbe d’or, pour un entretien politique de haute volée. Après quoi, andouillette, parce qu’on n’est pas des bêtes.

Episode 2. A Chartres, une belle moustache centriste et un vilain lapin d’extrême droite. Nous voici près de Chartres, dans la Beauce agricole et prospère. Comme à peu près toute la France, le fameux «grenier à blé» de la France, historiquement gaulliste, s’est réveillé mariniste à l’issue des européennes. Où l’on découvre que tout va bien, mais que ce n’est pas une raison pour être heureux. On y parle aussi de moustache et de chèvre.

Episode 3. A Blois, des manouvriers en colère, une embuscade du RN et la table du ministre. La ville de Blois, en bord de Loire, est connue pour son château où fut assassiné le duc de Guise. De nos jours, c’est plutôt l’usine de chocolats Poulain qu’on y poignarde dans le dos, au grand dam des ouvriers qui manifestent sous bannière CGT. Mais une embuscade RN vient semer le trouble, pendant que le ministre macronien du crû ouvre sa table en vantant le «centre responsable»…

Episode 4. «Macron n’a rien construit»: en Corrèze avec François Hollande. Alors que l’élection la plus angoissante de la Ve république se rapproche inexorablement, nous arrivons sur une terre d’élection pour présidents. Nous y rencontrons François Hollande, ex-président normal bien décidé à remettre l’ouvrage sur le métier. Pour essayer de sauver ce qui peut l’être.

Episode 5. A Vichy, où l’on comprend enfin comment le RN évite les problèmes. Contrairement aux apparences, qu’il a tenté de ripoliner, le Rassemblement national est encore coutumier des déclarations xénophobes et racistes. D’où le choix d’une quasi-invisibilité médiatique des candidats RN pendant cette campagne, dont nous avons été témoins. Suite et fin de nos pérégrinations, à la veille du premier tour, dimanche 30 juin, des élections législatives où peut-être tout bascule.

CONCLU. Voyage dans la France du 1er tour: on fait le bilan, calmement. On l’attendait, on a été servi: le premier tour des législatives anticipées en France s’est soldé par une victoire spectaculaire du RN. A l’Assemblée, ce ne sera peut-être pas le raz de marée, mais la majorité relative est assurée. Pour conclure notre voyage en dissolution nationale, on fait le bilan des circonscriptions traversées, dans l’attente d’un second tour qui sera crucial pour l’avenir politique du pays.

Le spa des Célestins, à Vichy. | Serge Enderlin, pour Heidi.news