Une campagne de 550 vols tests en Valais
Thomas Pfammatter est à la fois pilote d’hélicoptère secouriste pour Air Zermatt et entrepreneur audacieux. Comme il a senti très tôt que le métier de pilote ne lui permettrait pas de joindre les deux bouts, il a ajouté à sa licence un master en finance. Cela a fait de lui un directeur financier dans plusieurs entreprises des sciences de la vie, dont une, Sotax, leader des équipements de tests de laboratoires, installée à Bâle campagne et qu’il a fini par diriger.
Cependant, l’hélicoptère reste une passion. Thomas continue de piloter le tiers ou la moitié de son temps pour Air Zermatt. Le reste, il le consacre désormais à des start-up qu’il a cofondées comme Loriot, un développeur de logiciels pour gérer des réseaux de capteurs et Infra-Sense, qui conçoit des senseurs pour les infrastructures comme les ponts. Surtout, en décembre 2017, il a cofondé Dufour Aerospace après avoir fait partie des débuts de H55, l’entreprise d’électrification des avions dirigée par le co-pilote de Solar Impulse André Borschberg.
Comme H55, le projet de Dufour Aerospace n’est pas sans rappeler les «faucheurs de Marguerite» et autres «merveilleux fous volants» des débuts de l’aviation. C’est que l’électrification de l’aviation et le développement des drones ont rouvert le marché aérien à des start-up innovantes. Un peu partout dans le monde se développent des avions électriques et des projets de drones-taxis, autrement dit des véhicules inspirés par les drones pour le transport de passagers.
Certains volent déjà, comme ceux développé par la start-up allemande Lilium et la chinoise Ehang. Uber a son projet Elevate et Boeing, Airbus ou Bell ont aussi dévoilé des prototypes. Le projet de Dufour Aerospace s’en distingue, sans doute parce qu’il a été imaginé par un pilote et secouriste ainsi qu’un champion de voltige aérienne (Dominique Steffen) et une spécialiste de la simulation informatique venue de Google (Jasmine Kent).
Le aEro VTOL que développe Dufour se situe à mi-chemin entre un hélicoptère et un avion. Un peu comme le Orsprey M22 de l’armée américaine, il décolle à la verticale. Puis ses rotors passent en position horizontale pour voler comme un avion avant de retrouver la position verticale pour atterrir.
Dufour vient d’effectuer la première campagne de 550 vols de son prototype de 4,5 mètres d’envergure. Selon Thomas Pfammatter, «les résultats sont meilleurs que ceux que nous avions obtenus avec nos modèles de simulation informatique.» Une seconde campagne de vols est prévue à l’automne. Mais les données obtenues lors des premiers essais confirment déjà un certain nombre d’hypothèses.
Sans surprise, comme pour un hélicoptère, les manœuvres verticales donnent la possibilité de décoller et d’atterrir un peu partout. Avec l’avantage que la motorisation hybride des quatre rotors est beaucoup plus silencieuse lors de ces phases alimentées par les batteries. Ensuite, la capacité de voler comme un avion horizontalement double la vitesse vis-à-vis d’un hélicoptère classique et augmente de l’ordre d’un tiers la distance parcourable (900 km). Ces caractéristiques orientent le modèle d’affaires de Dufour. «Nous ne cherchons pas à développer un drone-taxi pour la ville», explique Thomas Pfammatter. Lui pense que la première application de cet appareil sera dans la santé.
«Aujourd’hui 0,5% des missions de transport de patients se font par hélicoptère, essentiellement parce que c’est cher», raisonne-t-il. Grâce en particulier à la vitesse gagnée avec un vol horizontal qui mettrait Viège à 15 minutes de Berne contre 5 heures par la route, il pense que les gains de temps, entre autres pour le personnel ambulancier, vont rendre de tels vols compétitifs. «Nous pensons que notre technologie pourra augmenter d’un facteur 10 le transport volant vis-à-vis du transport routier avec une ambulance», affirme-t-il.
Il en est tellement convaincu que Dufour, qui a levé des fonds auprès d’un investisseur allemand et a recruté 25 personnes, développe aussi une version capable de transporter quatre passagers en plus du pilote. Le projet est risqué. Il reste à démontrer que Dufour pourra passer l’épreuve de la certification, dont la barre est élevée dans l’aéronautique. Mais ce projet illustre le genre d’ambitions qu’affichent désormais les start-up helvétiques. Et cela ne fait pas de mal dans le contexte pandémique d’aujourd’hui.
|