Voyage au bout du lac – et du rouleau

Le mur des réformateurs, ici en mars 2024, souillé de peinture blanche. (KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi)

La chronique sporadique de Malka, 2e épisode. Pour Monsieur X, Genève était un rêve. Un rêve qui s’est fracassé contre les murs austères de la cité de Calvin. Une fois remisée sa voiture, pour cause de circulation infernale, le voilà qui bute sur la question des plats du jour dans des restaurants sans journaux. Heureusement, les rabais de la Coop vont réveiller son cerveau reptilien. Une affaire de filet de veau dont le prix baisse soudain de moitié.

La rade de Genève au coucher du soleil. (KEYSTONE/Jean-Christophe Bott)

Lui, c’est Monsieur X. Un homme raffiné qui porte des chapeaux et qui boit des cappuccinos. En 2016, il déménage à Genève et tombe en dépression. Au début, personne ne comprend pourquoi. La Suisse, ça fait des années qu’il en rêve. Enfant déjà, il racontait à sa mère comment, lorsqu’il sera riche et célèbre, il ira se réfugier là-bas, dans cette région féerique du centre de l’Europe, là où convergent «lacs et montagnes, purin et lingots d’or». Ce n’est pas la Goldküste, la rive huppée du lac de Zurich qui alimente ses songes les plus fous, mais le Genfersee: le croissant doré de l’arc lémanique; ce lieu qui accueillit jadis Stravinski, Lord Byron et le corps overdosé de Freddie Mercury.

Lorsque je me suis entretenue par téléphone avec Gudrun, la mère de Monsieur X, une femme de 76 ans résidant dans la région industrielle de la Ruhr, elle a d’emblée attiré mon attention sur le penchant solitaire de son fils. Elle m’a dit que contrairement à ses deux aînés qui passent, je la cite, «leur vie à beugler dans les stades de foot», Monsieur X s’était distingué par une sensibilité précoce pour «la face lumineuse et contemplative de la comédie humaine.»

- Dortmund, les foules et les ragots, a-t-elle ajouté, ça n’a jamais été son truc. Son truc, c’est la vue. Der Ausblick. La perspective, l’horizon, ce sur quoi le regard se pose et se perd.

Jouissant d’une carrière solide tant sur le plan réputationnel que financier, Monsieur X emménage donc à Genève en 2016, soit l’année de ses quarante ans. Il sélectionne pour logis un appartement aéré avec une terrasse qui donne sur les toits de la ville ainsi que sur une minuscule partie du lac Léman. Un point bleu, en somme. Point bleu à peine perceptible mais qui, comme me l’expliquera plus tard Monsieur X, fait «toute la différence.»

Chaque matin en sortant du lit, Monsieur X enfile ses pantoufles et sa robe de chambre, remonte les stores et sort sur sa terrasse. Pendant un petit quart d’heure, il ausculte le ciel, hume l’air frais et revigorant d’Helvétie puis s’en va vaquer à ses occupations.

L’épisode de la Mercedes

Selon les experts, les prémisses de son effondrement remontent à l’épisode de la Mercedes. Un des premiers basculements traumatiques de Monsieur X, ce moment où l’idéologie se fracasse contre la réalité glaciale du quotidien, surgit autour de la question les feux rouges de la ville de Genève. Constatant que conduire à Genève a de quoi, je le cite, «vous faire définitivement perdre la boule», Monsieur X troque sa S-Klasse coupée vert mousse pour un abonnement Unireso. Devenant incollable sur les horaires, les connexions et les déviations des Transports publics genevois (TPG), il finit également par se munir d’un vélo déniché chez Péclot 13 du quartier des Grottes et c’est ainsi qu’il se met à pédaler comme une furie sur des routes qui, s’aperçoit-il de surcroît, sont démunies de pistes cyclables et inondées de plaques françaises.

Mais selon moi, ce n’est pas l’épisode de la Mercedes qui précipita Monsieur X dans le fossé. C’est autre chose. Un élément infiniment plus délicat et central au bien-être de n’importe quel homme qui végète sur cette planète: le déjeuner.

Le plat du jour

En emménageant au bord du croissant doré de l’Arc lémanique, Monsieur X ne se doutait pas une seconde que cet espace-temps de la journée, celui où, je le cite, «l’on recharge son âme et son ventre», se verrait bousculé à tout jamais.

De Beijing, à Sao Paulo, en passant par Tcheliabinsk, Monsieur X affirme ne s’être jamais vu refuser ce pilier fondamental de la civilisation. «Même au fin fond de la Bulgarie, expliquera-t-il plus tard au personnel soignant de l’hôpital psychiatrique de Belle-Idée, je trouvais une bonne âme pour me servir ne serait-ce qu’un maigre goulash avec une gazette de fond de cheminée. Il n’y a qu’ici, dans cette ville qui se prend pour le chef-lieu de la diplomatie internationale, qu’on prive les gens de ce besoin primaire.»…

Pendant ce temps sur Heidi.news

Daouda Diop pose à Las Palmas, Canaries, le 8 janvier 2025. | Michele Cattani pour Heidi.news

Migrants TikTok: prendre la mer pour devenir dandy en Espagne. L’archipel des Canaries a connu une année 2024 record. Jamais autant de personnes venues d’Afrique n’ont tenté de rejoindre l’Europe. Des deux côtés de cette route migratoire, les candidats à la traversée et ceux qui ont réussi à migrer ont le même hobby: faire défiler les stories sur leurs téléphones. Nous débutons le voyage avec Daouda, pêcheur sénégalais ayant réussi sa mue.

Les réseaux sociaux peuvent-ils rendre fous? La mécanique du désir portée par les réseaux sociaux ne frappe pas que l’Occident. TikTok, Snapchat, WhatsApp, sont les témoins, mais aussi les vecteurs, des rêves d’eldorado de jeunes Africains en quête de réussite, de ressources ou de prestige. Cette enquête sur la migration au temps des réseaux sociaux débute dans une chambre d’hôpital en Afrique de l’Ouest, où suinte le silence.

Le socialiste Olivier Gurtner et son deux-roues. | Sarah Zeines, pour Heidi.news

Le vélo propulse-t-il les carrières politiques? La cause cycliste ne semble faire l’objet d’un consensus qu’au sein de la sphère rose-verte, où ceux qui s’engagent pour la petite reine grimpent rapidement les échelons. Pour autant, le vélo ne porte pas chance à ses partisans, une fois qu’ils sont parvenus aux responsabilités. La verte Lisa Mazzone ou le centriste Serge Dal Busco en ont fait l’amère expérience.

Le Pitch de la semaine

Pitch Comment pour Heidi.news

Il y a de la décomplexion dans l’air. Israël vient d’être épinglé pour avoir pris pour cible des humanitaires du Croissant-Rouge palestinien et des Nations unies à Gaza (15 morts), puis camouflé la scène. Interpellée, l’armée israélienne a indiqué que le convoi était suspect et roulait feux éteints de nuit, avant qu’une vidéo ne démontre l’exact contraire.

Autre lieu, même mœurs. Le 4 avril, l’armée russe a pris pour cible un quartier résidentiel de Kryvyi Rih, dans l’est de l’Ukraine, la ville natale du président Zelensky. Moscou prétend avoir ciblé un lieu secret de rencontre entre des haut-gradés de l’armée ukrainienne et des instructeurs occidentaux. Bilan des frappes de missiles: 19 personnes tuées, dont 9 enfants, qui devaient sans doute être en train de préparer des attaques secrètes contre la Russie.

Par contraste, on hésite à remettre le prix Nobel de la Paix à Donald Trump, qui se contente de relancer les énergies carbonées, de faire la chasse aux scientifiques et aux migrants, et de démanteler l’Etat de droit américain, puis sème la panique en instaurant des droits de douane tous azimuts, initiant une probable récession mondiale, avant d’aller jouer au golf sur son terrain privé de Mar-a-Lago. Un haut responsable anonyme de la Maison-Blanche s’est fendu de ce commentaire, auprès du Washington Post: [Donald Trump] a atteint «le sommet du rien-à-foutre».

Chacun son Everest.

Il est temps de raconter le monde

🌾 Vous n’aurez pas nos graines! C’est la semence qui dirige le monde. Sans graines, plus rien dans l’assiette. Durant des millénaires, les paysans ont nourri une diversité extraordinaire de plantes, en échangeant, préservant, et replantant leurs semences. Jusqu’au jour où l’industrie s’en est mêlée, au nom du profit et de la productivité.

Notre journaliste a arpenté les champs, les fermes et les stations de recherche. Du nord au sud, paysans, chercheurs et activistes réclament la souveraineté des semences. Une question de bon sens, mais aussi de survie.

De bonnes lectures pour le week-end

Le mystérieux naufrage du Bayesian. La mort du magnat britannique Mike Lynch, de sa fille et de cinq autres personnes à bord du méga-yacht Bayesian reste un mystère non résolu. Une tempête a éclaté dans un coin tranquille du golfe de Sicile, coulant en quelques minutes le yacht «insubmersible» doté de systèmes de sécurité avancés. Un voilier plus petit et plus ancien, situé à 100 mètres de là, n’a subi aucun dommage. Lynch fêtait son acquittement après un an d’assignation à résidence pour fraude.

Marathon, running, trail… la course au dossard ou le réenchantement de son existence. J’ai assisté cette semaine à Méribel à une conférence de l’incroyable trailer français Mathieu Blanchard. En février, il a remporté le Yukon Arctic Ultra, 600 km au Canada par -42 °C, courus en 7 jours et 22 heures, presque sans dormir. Si bien que mon attention a été retenue par cet article du Pr Olivier Bessy. Lequel se demande pourquoi il y a toujours plus d’inscrits aux courses de quartier, semi-marathons, marathons, trails et ultra-trails. Souci de performer et de paraître, recherche de sensations extrêmes, ou quête de soi?

Science mais pas fiction: comment l’IA nous surpasse en 2027. Dans leur scénario «AI 2027», des chercheurs en IA détaillent avec précision les prochaines étapes qui pourraient déboucher, au cours des deux prochaines années, sur l’arrivée d’une intelligence artificielle générale. Une journaliste l’a lu pour vous.

Reproduction du «Baie de Monaco, jour de régate» (1884), attribué à Claude Monet.

Des nouvelles du tableau signé Monet. Nous vous avions laissés, chères lectrices, chers lecteurs de Heidi.news, sur un suspense insoutenable. Le tableau attribué à Claude Monet, «Baie de Monaco, jour de régate» (1884), devait partir pour 50’000 francs lors d’enchères de gré à gré à l’Office des faillites de Lausanne, le 24 mars dernier. Or selon nos informations, un inconnu ayant proposé deux fois plus, l’avocat genevois Alexandre Camoletti a surenchéri à 300’000 francs pour le compte de sa cliente. Sans devoir débourser un franc, la somme étant couverte par la dette envers sa cliente de 1,2 million de francs de l’ancien propriétaire du tableau, feu Patrick Steiner. Désormais, si qui que ce soit propose davantage, cela provoquera de véritables enchères publiques.